Une enseigne bio qui dénonce ouvertement l’agriculture conventionnelle, des activistes vegan qui s’en prennent à des boucheries et à des éleveurs, des émissions de télévision à charge sur les produits alimentaires, des pétitions de citoyens pour demander l’interdiction totale des produits phytosanitaires, comme le mouvement « nous voulons des coquelicots »… Les critiques virulentes envers les agriculteurs et leur métier sont de plus en plus récurrentes dans l’espace public, depuis deux ans. Le phénomène n’a cessé de prendre de l’ampleur et de se radicaliser, à tel point qu’il a pris le nom d’« agribashing », le mot anglais « bashing », signifiant « dénigrer » ou « rosser ». « Les agriculteurs ne sont pas critiqués directement. Ils sont des victimes collatérales », analyse Eddy Fougier, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur d’un récent rapport intitulé « Le monde agricole face au défi de l’agribashing », commandé par la FNSEA Grand bassin parisien (GBP). Selon le récent baromètre d’image des agriculteurs réalisé par l’institut Ifop, les Français font toujours largement confiance aux agriculteurs, à 68 %, même si cette part s’érode depuis trois ans.
Un phénomène qui prend de l’ampleur
« Les critiques envers le secteur agricole ne sont pas nouvelles, mais elles ont évolué, estime Delphine Guey, la directrice de la communication de l’Union des industriels de la protection des plantes (UIPP) et présidente du Syrpa, syndicat qui réunit les professionnels de la communication agricole. « Il y a vingt ans, les anti-OGM étaient très présents. Mais le mouvement était circonscrit à une catégorie de personnes, sensibles aux questions liées à l’environnement. Le phénomène s’est élargi aux questions de santé ».
L’agribashing concerne aujourd’hui trois domaines :
– celui de la malbouffe et des OGM, apparu il y a une quinzaine d’années, porté à l’époque par des altermondialistes comme José Bové, les Faucheurs volontaires et Attac.
– le bien-être animal, depuis trois ans, sous la pression notamment de l’association L214, qui milite pour l’arrêt de l’élevage, de façon dogmatique.
– et l’opposition aux produits phytosanitaires dits pesticides, résultant, selon Eddy Fougier, « d’une incompréhension entre les citoyens et les agriculteurs ».
« Le sujet des pesticides n’était pas un sujet central pour la population. Il l’est devenu, sous la pression de certaines ONG comme Générations Futures, poussées par le lobby des professionnels du bio pour gagner en audience. Elles ont mis l’accent sur les possibles effets sur la santé, plutôt que sur l’environnement qui intéressait moins de monde. Or aujourd’hui, la qualité sanitaire des produits alimentaires français est exemplaire », insiste Gil Rivière-Wekstein, consultant et auteur du livre « Panique dans l’assiette : ils se nourrissent de nos peurs ».
Le lien perdu entre agriculteurs et citoyens
Entre les agriculteurs et les citoyens, le lien s’est distendu puis cassé ces dernières années. Sous la pression d’ONG, relayée par les hommes politiques et certains médias grand public, « les Français se sont construits une image erronée d’une nature nourricière et idéale qui fonctionne toute seule, sans intervention de l’homme », estime Delphine Guey. Face à ce divorce, comment le monde agricole peut-il se défendre ? De plus en plus d’initiatives émergent des organisations agricoles pour tenter d’inverser la tendance. « Il faut arriver à faire comprendre que les plantes sont comme les hommes. Quand elles sont malades, elles ont besoin de médicaments », souligne Carine Abecassis, la directrice de la communication de la CGB. Pas facile à faire accepter aux consommateurs. « La profession agricole a longtemps négligé sa communication auprès du grand public, préférant s’adresser aux professionnels », regrette Eddy Fougier. Selon l’observatoire 2018 du Syrpa, seuls 17 % des messages de la profession agricole s’adressent au grand public. « La meilleure façon est de donner la parole aux agriculteurs directement, pour présenter leurs métiers », affirme Delphine Guey. Lors du Salon de l’agriculture, l’UIPP a lancé « Le Siècle vert », une initiative pour présenter au grand public, par des agriculteurs et des chercheurs, les démarches de progrès de l’agriculture. Elle s’est poursuivie avec la création de la Cité du Siècle vert, un lieu éphémère à Paris. D’autres initiatives pourraient voir le jour comme celle de la FNSEA GBP, pour l’instant gardée secrète. Pour Gil Rivière-Wekstein, « les agriculteurs doivent s’exprimer davantage sur les réseaux sociaux. C’est une source d’influence énorme. Un ami sur Facebook est beaucoup plus crédible que n’importe quel média ou organisation ». « Malgré de belles initiatives, le secteur est encore peu présent et organisé sur les réseaux sociaux », déplore Carine Abecassis, qui a fait partie des pionniers en lançant en 2012 « Miss Better » sur Facebook, à destination du grand public. Aujourd’hui, le compte revendique 152 000 fans.
Fédérer les actions
Reste à structurer les initiatives et à les rassembler pour qu’elles soient efficaces. « Le monde agricole doit revoir sa façon de communiquer. Les actions émanent d’une multitude d’acteurs, ce qui rend cette communication inaudible », lance Eddy Fougier. Plusieurs idées circulent pour créer un lieu unique où seraient présentés les métiers et les innovations agricoles. C’est le cas de la Cité de l’Agriculture, imaginée par l’ancien ministre Benoît Apparu, maire de Châlons-en-Champagne (Marne), qui est restée pour l’instant à l’état de projet. C’est pour fédérer les actions de communication qu’est née la plateforme Agridemain, en 2016, à l’initiative d’une quinzaine d’organisations agricoles. Elle s’appuie sur un réseau de 271 agriculteurs ambassadeurs. Leur but ? Pouvoir prendre la parole facilement, intervenir, s’exprimer sur les réseaux sociaux et dans les médias. « Nous organisons des formations pour leur apprendre à utiliser les réseaux sociaux, parler en public et s’exprimer devant une caméra », détaille Gilles Maréchal, le directeur d’Agridemain. La plateforme s’est structurée le 26 septembre en association d’intérêt général pour amplifier ses missions (lire l’interview de Guillaume Lefort). La riposte doit aussi être organisée auprès des médias grand public qui cherchent des sources fiables et réactives vers qui se tourner. « Nous travaillons à créer “un science media center”, comme cela existe au Royaume-Uni et en Allemagne, qui pourrait être porté par les services de l’État et des journalistes spécialisés pour lutter contre les “fake news” sur l’agriculture », explique Delphine Guey. Les différentes organisations agricoles devront pour cela travailler ensemble au profit du collectif. « Il faut gagner en cohérence et en synergies. Cela va se faire progressivement », espère Gilles Maréchal. Ce sera une des missions de l’association qui doit dévoiler une nouvelle feuille stratégique courant novembre.
Adrien Cahuzac