La sélection génétique peut-elle apporter des réponses pour adapter les cultures au changement climatique ? Les semenciers et de nombreux chercheurs en sont convaincus. « La génétique est un levier majeur qu’il faut mobiliser », a expliqué Isabelle Litrico-Chiarelli, directrice du département de biologie et d’amélioration des plantes à l’Inrae. Elle s’exprimait lors d’un webinaire organisé le 8 novembre dans le cadre du Varenne de l’eau, intitulé « Quelle contribution de la sélection génétique pour l’adaptation de l’agriculture au changement climatique ?». Pour François Champanhet, rapporteur des travaux du Varenne de l’eau et membre du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), « il y a des pistes pour adapter les espèces au changement climatique. La génétique peut beaucoup mais pas tout à la fois ». Un point de vue partagé par François Tardieu, directeur de recherche du laboratoire d’écophysiologie des plantes sous stress environnementaux à l’Inrae. « L’impact de la sécheresse est une combinaison de conditions climatiques, d’exposition et de vulnérabilité. La génétique permet d’agir sur ce dernier point et d’optimiser des éléments contradictoires : si on cherche à réduire la transpiration par les stomates, cela va réduire la photosynthèse, et donc la croissance de la plante », reconnaît-il. L’adaptation des espèces au changement climatique est aujourd’hui de plus en plus prise en compte dans les travaux de sélection. Plusieurs stratégies, combinant génétique et pratiques agronomiques, permettent déjà d’adapter les cultures :
- Résister ou survivre à la sécheresse, avec des technologies comme les nouvelles techniques de sélection des plantes ou New Breeding Technologies (NBT).
- Échapper au stress, en cultivant au bon moment. Cela passe par des variétés avec des durées de cycles différentes. « On a souvent intérêt à avoir une durée de cycle court pour récolter avant une période de forte chaleur ou de grande sécheresse. Aujourd’hui, on voit que les variétés de maïs remontent vers le Nord. La génétique permet d’adapter la durée de cycle, et donc la floraison. C’est relativement facile pour le maïs, moins pour d’autres cultures », observe François Tardieu.
- L’évitement en économisant de l’eau. « On peut réduire la transpiration. Pour la vigne, on a montré qu’il y a des gènes pour une faible transpiration nocturne. Mais le risque est de réduire le rendement », explique le directeur de recherche.
- Produire quand même avec le meilleur rendement possible. Beaucoup de gènes identifiés, dits du rendement, sont positifs ou négatifs en fonction des types de sécheresse (sévérité, durée, caractère brutal ou graduel, précocité…). « En faisant des sélections pour de meilleurs rendements, on se rend compte que ces variétés offrent parfois un meilleur rendement en conditions de sécheresse », estime François Tardieu.
Une multitude de gènes en jeu
Combiner résistance à la sécheresse et rendement n’est pas un exercice facile, car cela fait appel à une multitude de gènes. « L’amélioration des plantes permet de créer de nouvelles variétés qui vont combiner un certain nombre de caractères d’intérêt. Mais c’est un processus long qui prend plusieurs années », explique Isabelle Litrico-Chiarelli. Cela nécessite de disposer d’une diversité de traits et de comportements d’intérêt pour conserver la diversité génétique des espèces. La base de la sélection variétale se fait le plus souvent par l’étude du phénotype (l’ensemble des caractères apparents d’un individu) mais si on a accès aux allèles (génotype), l’efficacité de la sélection va augmenter et gagner en rapidité.
« Il faut passer du temps pour sélectionner des alènes favorables à la sécheresse mais qui risquent d’être négatif sur l’excès d’eau. La prévision génomique va nous aider à tester le rendement », révèle François Tardieu. Pour cela, la découverte des marqueurs moléculaires a révolutionné le travail des sélectionneurs ces dernières années. « On a réussi à réaliser des cartographies de gènes majeurs ou de régions du génome (QTL) et faire des associations entre le caractère observé et le marqueur moléculaire. On prévoit les valeurs génétiques », affirme Isabelle Litrico-Chiarelli. Les avantages de cette sélection assistée par marqueurs sont nombreux : gain de temps, meilleure efficacité et réduction des coûts. La sélection génomique permet de construire des formules de prédiction et d’améliorer les schémas de sélection. « Cette technique est de plus en plus utilisée dans les plantes pour étudier les réponses au changement climatique. Elle permet de gagner du temps en sélectionnant à des stades très précoces », ajoute Isabelle Litrico-Chiarelli.
Les promesses de l’édition du génome
Une autre biotechnologie consiste en l’édition de génome, c’est-à-dire les fameux NBT. Elle consiste en l’utilisation d’une enzyme nucléase (Cas9) permettant de modifier n’importe quel gène dans le génome (voir schéma). Cela permet d’introduire dans un individu une mutation présente dans le pool génétique de l’espèce. Le potentiel pour l’innovation variétale est immense, que cela soit en termes de résistance aux maladies, de qualité des plantes ou de résistance au changement climatique. « Dans le maïs, en modifiant un promoteur du gène ArgoS8, nous obtenons un meilleur rendement en grain dans des conditions de stress hydrique », souligne Isabelle Litrico-Chiarelli, qui voit dans les NBT « un gain de temps dans l’assemblage des allèles et une modification du gène cible sans risque d’introgression de caractères indésirables ».
Mais les NBT ne sont pas autorisés en France. Les semenciers espèrent une évolution de la réglementation européenne, pour sortir les NBT du cadre des OGM. Mais pas avant deux ans ! La Commission européenne travaille sur une nouvelle proposition de réglementation, qui devrait être soumise à consultation publique, suivie d’un passage en trilogue, pour une application au mieux lors du 1er semestre 2023. D’ici là, face au changement climatique, les semenciers vont devoir poursuivre leur travail de sélection traditionnel. « Il n’y a pas de sélection miracle. On ne peut pas faire à la fois du rendement et s’adapter à la sécheresse », insiste François Champanhet du CGAAER. C’est une approche combinée en sélection génétique et en pratiques agronomiques qui doit être privilégiée pour s’adapter au changement climatique.
L’Union française des semenciers (UFS) a présenté le 3 novembre douze propositions et demandes, rassemblées en trois parties, à destination des candidats à l’élection présidentielle de 2022 :
1) Développer une vision à moyen terme des politiques publiques agricoles.
Cela doit passer par un cadre réglementaire sécurisé pour permettre d’investir avec les mêmes outils de sélection que les concurrents internationaux, par la suppression des distorsions de concurrence entre états au sein de l’Union européenne et par une meilleure cohérence des politiques publiques.
2) Soutenir l’innovation variétale.
Pour l’UFS, la réglementation doit être adaptée avec un renforcement des financements publics, une pérennisation du crédit impôt recherche (CIR), une meilleure connaissance des métiers semenciers et une protection efficace contre les atteintes à l’exercice d’une activité légale.
3) Garantir un cadre de production conforme aux exigences qualité
L’UFS souhaite une réglementation européenne stabilisée pour la commercialisation de semences, la garantie d’un accès à l’eau, des solutions de traitement de semences en cas d’impasse technique et de pouvoir accéder au marché international.
Cultivée uniquement au stade végétatif, la betterave à sucre n’implique pas la formation de grains comme les céréales, ce qui la rend moins sensible au stress hydrique. Il n’empêche. En cas de stress hydrique, la productivité des betteraves est fortement altérée. « Il n’existe pas de gène miracle. La tolérance à la sécheresse est un caractère complexe. Elle sollicite plusieurs fonctions chez la plante et donc de nombreux gènes : modification de l’enracinement, de la surface foliaire et de l’ouverture stomatique », explique Maarten Vanderstukken, sélectionneur chez SESVanderHave. Les semenciers utilisent le phénotypage de parcelles d’essai par drone pour identifier des différences génétiques sur certains critères jouant un rôle dans le stress hydrique. C’est le cas de SESVanderHave, qui dispose d’un large réseau d’essais en Europe dans des zones régulièrement touchées par des épisodes de stress hydrique, où il collabore avec le fabricant de drones Vito.