Le pays est en guerre mais toutes les forces de la nation sont mobilisées pour faire fonctionner l’économie. Sollicitée par le Betteravier français, UkrAgroConsult (UAC), l’agence ukrainienne de conseils et d’expertises sur les marchés agricoles, nous a répondu et livre un état des lieux de la filière pommes de terre en Ukraine.
« La guerre avec la Russie n’entraînera pas une forte réduction de la production de pommes de terre en Ukraine, même dans les zones où les conflits font rage », affirme UAC.
L’Ukraine est le 4e pays producteur au monde de pommes de terre après la Chine, l’Inde et la Russie. Chaque année, entre 20 et 22 millions de tonnes (Mt) de pommes de terre sont récoltées. Le rendement moyen n’excède pas 17 tonnes par hectare (t/ha). Mais il atteint 23 t/ha dans les champs cultivés par les conglomérats où les pratiques culturales sont plus intensives.
La pomme de terre est cultivée sur l’ensemble du territoire. Avant le conflit, environ 1,3 million d’hectares était implanté chaque année. Les principaux bassins de production sont situés autour de Tchernihiv et les Régions de Lviv, Jytomyr, Dnipropetrovsk et de Kiev (72 % des surfaces ensemencées).
Mais dans le sud du pays, la culture de pommes de terre a régressé depuis que les agriculteurs n’ont plus accès au canal de Crimée du Nord pour irriguer leurs champs.
L’apanage d’exploitations familiales
En Ukraine, la culture de pommes de terre reste l’apanage d’exploitations familiales. Les entreprises agricoles à la tête de centaines de milliers d’hectares se sont retirées du secteur. Seul 1,5 % de la production de pommes de terre ukrainienne sort de leurs champs. La culture de pommes de terre est économiquement trop risquée.
Seule une récolte sur deux est bonne et la forte variabilité des prix altère la rentabilité de la production. Les exploitations ne sont pas équipées pour irriguer les cultures.
Cette année, davantage d’hectares de pommes de terre ont été plantés. Dans les exploitations agricoles bien sûr, mais aussi dans les lopins de terre que les Ukrainiens sont très nombreux à posséder, héritage de la période soviétique et de la redistribution des terres dans les années 1990. Le conflit a même poussé certains propriétaires à remettre en cultures leur terrain.
En Ukraine, on dénombre aussi de nombreuses petites exploitations de subsistance. Le pays est encore profondément rural (31 % de la population).
Dans la région de Dnipropetrovsk, dans le centre-est et à l’ouest de l’Ukraine, les pommes de terre ont été implantées en temps et en heure. Mais dans les territoires occupés des oblasts de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijia, seuls 7% de la superficie seront cultivés en pommes de terre.
Dans les régions de Tchernihiv, Jytomyr et Kiev, où se sont déroulés les combats au cours des mois de mars et d’avril derniers, l’implantation a été retardée par les dégâts occasionnés par le conflit. Les agriculteurs ont dû remettre en état leurs champs avant de les ensemencer.
Quoi qu’il en soit, les agriculteurs ukrainiens disposaient de suffisamment de plants. Les tubercules certifiés leur avaient été livrés avant le début du conflit et les plants de ferme étaient entreposés dans les celliers depuis la précédente récolte.
Matériel détruit
Mais dans certaines fermes, une partie des travaux des champs ont été faits à la force des bras. De nombreux matériels ne sont plus en état de marche. Certains ont été détruits par des bombardements ou ont tout simplement manqué de carburant.
Selon UAC, les Ukrainiens n’ont aucune raison de redouter une pénurie de pommes de terre l’hiver prochain. Comme un 1/8ème de la population a quitté le pays, une baisse de la production de quelques millions de tonnes de tubercules à la fin de l’été aura peu d’impact.
La culture de pommes de terre est exclusivement réservée pour alimenter le marché national. Seules quelques milliers de tonnes sont exportées (17 000 t) ou importées chaque année (environ 170 000 t). La production de pommes de terre n’est pas organisée pour en faire une filière exportatrice.
« Depuis 2004, une directive européenne interdit l’importation de pommes de terre en provenance de pays lorsque les normes phytosanitaires en vigueur ne sont pas conformes à celles appliquées dans l’Union européenne, déplore UAC. Depuis 2018, le pays tente de remédier à ce retard, mais le conflit avec la Russie retardera le processus ».
De même, les producteurs ukrainiens avaient aussi l’ambition de conquérir le marché de la CEI en adoptant les règles sanitaires exigées. Ils voulaient exporter des pommes de terre commercialisables et de semences aux marchés asiatiques et africains. Mais ces projets sont à l’arrêt.
Alimentation animale
En conséquence, la production ukrainienne approvisionnera encore, pendant de nombreuses années, le marché intérieur ukrainien. Un tiers de 20-22 Mt produites chaque année est destiné à l’alimentation humaine (6,4 Mt). Une grande partie des tubercules nourrit les animaux élevés dans les exploitations. Et faute de moyens de stockages performants et suffisants, environ 15 % de la récolte est perdue chaque année.
« Dans les exploitations familiales, les pommes de terre sont produites en trop petites quantités pour pouvoir constituer des lots homogènes commercialisables à l’export, rapporte UAC. Par ailleurs, les matériels de tri manquent. Et lorsque les plants semés sont des plants de ferme, plusieurs variétés sont cultivées ensemble ».
Enfin, les capacités de stockage sont faibles. Il n’existe actuellement que 400 entrepôts d’une capacité totale de 1,3 à 1,4 million de tonnes. Or, il en faudrait trois fois plus. De plus, seule la moitié de ces entrepôts est équipée d’équipements de réfrigération modernes.
Sols propices
Pourtant, l’Ukraine ne manque pas d’atouts pour développer la production de pommes de terre. Les sols et le climat sont propices à sa culture.
Les agriculteurs professionnels sont ouverts au progrès et à l’innovation. L’essor du secteur céréalier est un modèle à suivre. Le registre national des variétés végétales susceptibles d’être distribuées en Ukraine comprend environ 190 variétés de pommes de terre, dont 44 % sont de sélection nationale. Les importations de pommes de terre de semence augmentent. Mais l’emploi d’OGM est encore interdit.
« Dans le contexte actuel du changement climatique, les agriculteurs choisissent plus souvent des variétés résistantes à la sécheresse, suffisamment précoces pour arriver à maturité avant le début des fortes chaleurs, rapporte UAC. La principale variété est la Riviera, leader dans le Sud en termes de précocité. L’Arizona, variété également précoce et la Piccasso, sont les deuxième et troisième variétés de céréales les plus cultivées ».
Chaque Ukrainien consomme en moyenne 140 kg de pommes de terre par an. Mais le tubercule est essentiellement l’aliment de base des habitants en zone rurale (31 % de la population). La consommation de pommes de terre y est presque deux fois plus importante que dans les grandes métropoles où réside 69 % de la population.
L’urbanisation croissante de la population conduit les ménages à modifier leurs habitudes de consommation et d’alimentation. La production de produits transformés à base de pommes de terre est en plein essor, comme l’industrie de la chips est du reste en plein essor. Trois groupes sont aux commandes : Mondeliz Ukraine dans la région de Kiev, Chips Club dans la région de Dnipropetrovsk et Pepsico Ukraine (Sandora) dans la région de Mykolaïv. Dans les villes, la restauration rapide se développe et repose aussi sur la consommation de produits transformés.
Toutefois, les pommes de terre sont majoritairement consommées en frais car le pouvoir d’achat des ménages est réduit. L’agriculture biologique n’est pas encore l’apanage des Ukrainiens urbains. Actuellement, seules 13 fermes sont certifiées « agriculture biologique ».
La saison de culture de la pomme de terre en Ukraine s’étend généralement du mois d’avril au mois de septembre, voire octobre, dans les régions du nord.
Récemment, les conditions météorologiques dans le sud de l’Ukraine ont permis de cultiver deux cultures de pommes de terre avec deux récoltes, au mois de mai ou juin puis à l’automne. La seconde culture semée au mois de juillet dispose de suffisamment de chaleur et d’eau pour se développer et être bonne à récolter à en septembre ou octobre en primeur.