« Nous notons un changement dans la gestion des luzernières. Elles sont majoritairement cultivées au-delà de deux ans : environ 80 % sont conservées 3 ans et 20 % des luzernes de 3 ans sont conservées 4 ans. Ce facteur joue en faveur du stockage du carbone », note Pascal Thiébeau, ingénieur d’études à l’Inrae de Reims. Actuellement, le bilan carbone d’une luzernière de 2 ans, du semis à la sortie usine, se révèle très positif : + 380 kg de carbone stockés dans les sols. La filière luzerne envisage donc assez vite des initiatives de compensation sur luzerne, avec le label bas carbone. « Les porteurs de projets labellisés pourront désormais se faire rémunérer par un partenaire privé ou public pour des émissions évitées et/ou compensées », souligne Éric Masset, Président de Luzerne de France dans le rapport Luzerne 2026.
Excellent capteur d’azote
La luzerne joue un double rôle sur la captation du carbone et de l’azote. « Dans la culture, on observe une forte augmentation de la biomasse racinaire entre la première et la deuxième année, qui se poursuit les années suivantes. Les racines de la luzerne peuvent descendre jusqu’à 2 mètres de profondeur dans les terres de craies de Champagne », affirme Pascal Thiébeau. Cette capacité d’enracinement fait de la luzerne un formidable capteur d’azote. « La luzerne peut aller chercher en profondeur des flux d’azote que les cultures céréalières annuelles ne parviennent pas à capter. C’est un atout pour les nappes phréatiques de ces régions » ajoute-t-il. Sachant que les nitrates descendent dans le sol à la vitesse de 30 cm/an en Champagne, les luzernes font partie des leviers pour diminuer le flux d’azote qui arrive dans les nappes souterraines.
« La filière doit négocier le virage des produits phytosanitaires », annonce aussi Éric Masset. La luzerne fait partie des productions végétales nécessitant peu d’intrants chimiques. Le poste principal est occupé par les désherbants en post-levée, qui sécurisent l’implantation. Malgré tout, devant la pression réglementaire, les fournisseurs renouvellent de moins en moins certaines homologations par ailleurs peu rentables. La Coopération agricole Luzerne de France a choisi d’avancer sur le déploiement de pratiques alternatives utilisant moins de produits phytosanitaires ou privilégiant des techniques de biocontrôle.
Face au climat
Pour développer les surfaces de luzerne, le principal défi reste celui du changement climatique. Avec ses périodes sèches, il impacte la luzerne depuis plusieurs campagnes, avec des pertes de production répétées. Les « bonnes années » sont celles bénéficiant de pluies régulières, ce qui n’a pas été le cas en Champagne-Ardenne au cours des cinq dernières années. Cela génère à la fois des difficultés au semis et au démarrage de la culture et des baisses de rendement. La perte concerne surtout la troisième coupe, qui peut perdre 1 à 2 tonnes de matière sèche par hectare. En 2020, la météo a fait passer la moyenne française près de la limite basse des 10 t MS/ha. En Italie, la situation paraît encore pire, car les deux dernières campagnes enregistrent une baisse moyenne de 25 % des rendements en luzerne. En France, plusieurs leviers sont testés pour faire face au changement climatique : semis sous couvert et variétés au démarrage plus précoce. « La technique de semis de luzerne sous couvert de pois semble bien au point », relève Pascal Thiébeau, « cependant elle ne s’est pas encore développée ».