Un article de notre partenaire européen Euractiv.
Une « catastrophe », une chute des températures « historique », un gel d’une violence « inédite » – les superlatifs pour qualifier la vague de froid qui a frappé l’agriculture française la semaine dernière ne manquent pas. Face à cette situation « exceptionnelle », le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a annoncé vouloir activer le régime des calamités agricoles qui octroie une aide aux producteurs non assurés contre le gel. Le premier ministre Jean Castex a, lui aussi, promis de prendre des mesures, notamment des allègements fiscaux.
Avec des pertes allant de 30 à 100 % selon les exploitations, l’épisode de gel de ce printemps aura été particulièrement dévastateur, certes – mais il risque de ne pas rester une exception. Car le changement climatique génère depuis quelques années des températures en moyenne plus élevées et notamment des hivers très doux. Avec l’arrivée des beaux jours souvent dès la fin-janvier, les bourgeons des arbres se développent donc beaucoup plus tôt que d’habitude – alors que le risque de gel perdure néanmoins jusqu’à la fin-avril au moins. En d’autres mots : « Plus tôt que l’arbre démarre, plus il craint le gel. Et là, ça fait trois années de suite qu’on démarre très, très tôt », explique Françoise Roch, présidente de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) en entretien avec Euractiv.
Comment aider donc le monde agricole à s’adapter face à la récurrence très probable de ce type de phénomène aussi incontrôlable que destructeur ? Une chose est certaine : pour les producteurs, le système de protection en place aujourd’hui n’est plus suffisant.
Des assurances trop chères et non obligatoires
« Le fonds des calamités agricoles n’est plus adapté par rapport au changement climatique que nous vivons depuis quelques années », estime Joel Limouzin, co-président de la FNSEA, premier syndicat agricole de France. Ce fonds serait destiné à « intervenir en cas d’évènements exceptionnels qui se produisent tous les 10 ou 15 ans », poursuit-il. « Mais là, le gel a touché des zones qui l’étaient déjà l’an dernier, dans d’autres on vient de subir quatre années de sécheresse de suite. »
Autre problématique : si des assurances récolte existent dans certaines filières, elles ne sont pas systématiques – et inabordables pour de nombreux producteurs. « En arboriculture, on n’a même pas d’assurance contre le gel », raconte Françoise Roch. « Il y en a une en viticulture, mais les cotisations sont très chères, donc très peu de monde y souscrit. »
Raison pour laquelle les représentants des filières agricoles souhaiteraient négocier avec l’État « pour trouver un système assuranciel abordable pour les producteurs », explique Mme Roch. Face à la réticence des assurances de prendre des risques, « il faut que la politique tranche », estime-t-elle. Même son de cloche du côté de la FNSEA qui, dans un communiqué, rappelle « l’importance de permettre aux agriculteurs de bénéficier de dispositifs de prévention et d’un régime de gestion des risques à la hauteur du défi climatique », déplorant que « ce n’est pas le cas aujourd’hui ».
Augmenter la résistance au gel – par voie génétique ?
Outre les assurances et les aides d’urgence, c’est l’adaptation des filières aux conditions climatiques changeantes qui s’impose. « Il faut aller plus loin dans la recherche », estime Joel Limouzin. Et repenser, par exemple, le choix des cépages en viticulture, favorisant des plantes à floraison plus tardive pour limiter les risques du gel printanier.
Côté arboriculture, une autre solution serait d’ « identifier les variétés plus résistantes aux gelées » et de travailler sur ce point au niveau génétique, explique Françoise Roch. Or, pour arriver à une vraie adaptation, « on est sur un pan de temps énorme », avertit-elle. « En arboriculture, pour sortir une variété adaptée, il faut compter 30 ans. » Une adaptation qui pourrait aller plus vite à l’aide du système CRISPR – ces « ciseaux » permettant de modifier des génomes -, mais qui est interdit en France dans le cadre de la réglementation relative aux organismes génétiquement modifiés.
« Aider les producteurs à s’équiper »
Dans l’attente de solutions, il faudra donc surtout miser sur l’amélioration des outils de protection des cultures contre le gel, estime Mme Roch. « Les équipements que l’on a aujourd’hui ont démontré leurs limites », explique-t-elle, comme par exemple les fameuses « bougies » qui, en plus d’être assez pollueurs, n’ont pas suffi pour protéger de nombreuses cultures.
En plus, « tout le monde n’est pas équipé parce que ça coûte extrêmement cher », poursuit Mme Roch. Que ce soit l’aspersion (l’eau projetée gèle au contact des bourgeons, formant un cocon protecteur), le brassage d’air (qui mélange les couches d’air froide au sol et chaude en altitude) ou le chauffage, les différents types de protection demandent des investissements lourds (jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros par hectare à leur installation), sans oublier le coût de chaque déploiement.
Dans une vision d’adaptation dans le moyen terme, l’État devrait donc faciliter l’accès à l’eau pour les producteurs – l’aspersion étant le système de protection le plus efficace – et, surtout, « aider les producteurs à s’équiper », soutient la présidente de la FNPF. Le gouvernement a dans ce sens annoncé une enveloppe de 70 millions d’euros dans le cadre du Plan Relance pour permettre aux agriculteurs d’acquérir des « matériels protégeant les cultures des aléas climatiques ».
Concernant les assurances récoltes, les agriculteurs attendent la prochaine remise d’un rapport sur le sujet par le député Frédéric Descrozaille (LREM) au ministre de l’Agriculture. Dossier à suivre.