C’est à 20 minutes de Genève, sur la commune de Jussy, que se situe le réputé domaine du Château du Crest, qui comprend 200 hectares de grandes cultures et près de 20 ha de vigne. Au milieu de ce « poumon vert », Josef Meyer, le président de la Fédération suisse des betteraviers (FSB) et dirigeant du domaine, avec son associé Dominique Walter, y cultive une trentaine d’hectares de betteraves. Malgré les difficultés, il continue à croire en cette culture et maintient ses surfaces contre vents et marées. Deux sucreries, de 10 000 tonnes de betteraves par jour, assurent 60 % des besoins en sucre de la Suisse aujourd’hui. En moins d’une décennie, les surfaces ont fondu, passant de 24 000 hectares en 2014 à 16 000 ha en 2022, représentant un peu moins de 2 % de la surface agricole utile du pays. Ils ne sont par ailleurs plus que 4 500 betteraviers en Suisse, contre encore 6 000 il y a cinq ans à alimenter les deux sucreries du pays : Aarberg et Frauenfeld. Depuis quatre ans, la filière doit composer avec une succession de mauvaises nouvelles et de freins à son développement. « Il n’y a plus de néonicotinoïdes et la filière fait face au problème du syndrome de basse richesse (SBR) dû à une bactérie transmise par la cicadelle, explique Josef Meyer. Cette maladie avait disparu en Europe quand les sucreries en Bourgogne ont fermé ». Ajoutée à cela, la fin des quotas sucriers européens a été un coup dur pour la Confédération helvétique. « Les prix se sont effondrés et nous avons dû nous adapter, sans pouvoir compenser nos coûts élevés », ajoute le président de la FSB. Les salaires sont en moyenne 75 % plus élevés qu’en France et en Allemagne. Résultat depuis trois ans, la filière perd de l’argent et doit puiser dans ses réserves financières pour tenir.
Deux sucreries sous-utilisées
Les deux usines propriétés de Sucre SA, dont 42 % du capital appartiennent aux producteurs, fonctionnent entre 80 à 90 jours par an, grâce aux betteraves conventionnelles et bio importées en train depuis l’Allemagne. Avec une capacité de 10 000 tonnes de betteraves transformées chacune par jour, elles produisent près de 240 000 tonnes de sucre par an aujourd’hui. Josef Meyer estime la part des betteraves transportées depuis le pays voisin à 3 000 hectares environ, dont 1 200 ha en bio. Aujourd’hui, la production de sucre en Suisse ne couvre plus que 60 % des besoins du pays alors qu’elle atteignait 70 % jusqu’en 2019.
Consciente du problème et de l’importance de soutenir sa filière sucrière pour préserver sa souveraineté alimentaire, la Confédération a mis en place de nouveaux dispositifs de soutien et confirmé certains autres. Depuis le 1er mars, est prolongée jusqu’en 2026 la taxe douanière minimale appliquée aux importations de sucre, soit 70 francs suisses par tonne (1 franc suisse = 1 euro). Parallèlement, l’aide aux producteurs pour cultiver de la betterave est passée à 2 100 francs suisses par hectare jusqu’à la même date, soit 300 francs de plus qu’avant, avec un supplément de 200 francs par hectare pour les betteraves cultivées en agriculture biologique ou en production intégrée sous le label IP-Suisse. De quoi redonner confiance aux producteurs et stopper l’hémorragie observée ?
Pas de néonicotinoïdes
« L’objectif espéré est de retrouver un seuil de près de 20 000 hectares pour permettre aux sucreries d’Aarberg et de Frauenfeld de tourner à plein volume », estime Josef Meyer. Mais les conditions de culture restent toujours difficiles. Pas question d’autoriser à nouveau les néonicotonoïdes en Suisse, même de façon transitoire. Les producteurs peuvent cependant compter sur des variétés VTH Conviso Smart leur permettant de désherber plus facilement et sur de nouvelles variétés, résistantes au SBR mais moins productives. Mais si cela ne suffisait pas à redresser la production, Josef Meyer craint à terme l’inexorable : la possible fermeture d’une des deux sucreries du pays. Pas question d’y songer sérieusement encore pour les betteraviers suisses.
« Avec la crise du Covid, nous avons pris conscience du besoin de répondre davantage à nos besoins agricoles et industriels », affirme Josef Meyer, le président de la Fédération suisse des betteraviers (FSB). C’est ainsi qu’après avoir abandonné la production d’éthanol en 2008, la sucrerie d’Aarberg vient de relancer ses installations pour en devenir l’unique producteur d’alcool industriel de Suisse. D’une capacité de 7 000 hectolitres d’éthanol pur par an, la production de la sucrerie d’Aarberg servira également à l’élaboration de gel hydroalcoolique et de désinfectants. Près de 5 millions de francs suisses ont été déboursés pour relancer le site. Un investissement qui devrait être rentabilisé avant dix ans, selon Josef Meyer.