Il a été une vedette inattendue de la première vague de la Covid-19 en mars 2020, quand la population s’est ruée brutalement sur les gels hydroalcooliques, désinfectants et autres produits de ménage comme le vinaigre blanc. L’alcool éthylique, longtemps considéré comme un produit de commodité, a gagné ses lettres de noblesse auprès des Français. Ceci sans que la plupart d’entre eux se rendent compte d’une réalité simple : l’essentiel de sa production est d’origine agricole, durable et domestique. « Pour les usages non alimentaires, l’alcool de synthèse issu des hydrocarbures est devenu minoritaire en France et dans beaucoup de pays européens au fil des décennies. La pétrochimie s’étant restructurée, il ne reste d’ailleurs plus qu’un fabricant majeur d’alcool de synthèse en Europe [NDLR : Ineos] », indique un expert du secteur.
À l’inverse, depuis deux décennies, l’essor du bioéthanol a permis au secteur sucrier et céréalier de gagner en compétitivité et d’avoir des volumes disponibles pour d’autres usages. L’éthanol à vocation industrielle, y compris l’alcool surfin dans sa version la plus pure (96° minimum) représente bon an mal an de 10 à 12 % des usages de l’éthanol agricole en France. Et il est en train de se réinventer en jouant sur le « made in France » ou la vogue des produits renouvelables.
« C’est un segment pérenne et rentable, plutôt en croissance, qui contribue à la meilleure valorisation possible des produits issus de la betterave », expose Bernard Traverse, directeur commercial chez Tereos.
Un secteur concentré
Derrière cette petite révolution, se tient une poignée de groupes agro-industriels. S’il existe encore des négociants-distributeurs, dénaturateurs (SAD, Hauguel…) ou petits producteurs de spécialités – sans compter les importations y compris extra-européennes -, la production d’alcool surfin est, en France, concentrée autour de trois opérateurs. Les principaux sont bien sûr Cristal Union, notamment avec sa filiale Dislaub, et Tereos. Ils disposent chacun de plusieurs outils de distillation et de rectification. À ces deux groupes coopératifs s’ajoute Ryssen. Basée à Dunkerque, cette entreprise, filiale de Südzucker, est spécialisée dans le bioéthanol mais aussi dans la rectification et la purification d’alcool acheté en France ou en Europe, notamment chez son actionnaire allemand.
Coté marketing pour l’alcool surfin, c’est dans la pharmacie et la parfumerie-cosmétique que s’affirment les tendances les plus marquées. Et d’abord sur les qualités intrinsèques du produit. L’alcool surfin est en principe très standardisé, d’autant que plus la pureté de l’alcool augmente (jusqu’à la limite de 99,9 %), plus il se rapproche de sa formule chimique absolue. Mais dans les faits, chaque utilisateur souhaite de plus en plus obtenir un grade spécifique allant bien au-delà de la seule réglementation, qui fait peu de distinctions sur l’origine ou les caractères organoleptiques.
« Nous avons plus de 1 000 clients actifs. Nous répondons à des demandes très variées sur l’origine du produit -betterave ou céréales-, le degré de pureté, la limpidité et bien sûr l’absence d’odeur, la neutralité devant être totale, surtout en parfumerie », détaille Ernst Van Der Linden, directeur des ventes bioéthanol et alcools chez Cristal Union.
Les meilleurs « nez » des parfumeurs sont capables, dit-on, de percevoir l’impact de l’origine de l’alcool surfin, même le plus pur sur la capacité de diffusion ou de fixation d’un parfum !
Cela conduit de plus en plus les fabricants à travailler dans les phases finales de purification par lot (batch) selon des demandes spécifiques à chaque client, avec des modes de conditionnement allant du simple bidon à la citerne, en passant par les conteneurs (IBC).
Des certifications à respecter
Pour le secteur de la pharmacie, où l’alcool est utilisé par exemple comme base de sirop ou de bains de bouche, ce traitement par batch, gage d’une traçabilité totale, est évidemment requis. Une pratique qui s’intègre plus largement dans les exigences de la réglementation pharmaceutique, que ce soit celles de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ou encore celles des normes dites GMP (Good manufacturing practice), sur le plan européen et américain. « Nous avons acquis, en fonction de la spécialité de chaque marché, l’ensemble de ces certifications », témoigne Bernard Traverse, directeur commercial chez Tereos. Une démarche qui vaut aussi notamment pour Ryssen et Cristal Union.
Dans le secteur de la cosmétique et de la parfumerie, la forte tendance du moment pour l’alcool surfin a trait à la durabilité. Dans le mouvement actuel de transition écologique, les marques de cosmétiques ou de produits d’hygiène, et bien sûr du luxe, se sont toutes emparées du sujet. Elles cherchent à faire le ménage dans leurs formulations et à éviter le recours à des produits de synthèse, ce qui favorise l’alcool agricole.
Lancé depuis 2005 dans cette démarche, L’Oréal est en train d’accélérer fortement. Futur directeur général du groupe, Nicolas Hieronimus vient de fixer pour 2030 un objectif de 95 % de sources végétales ou renouvelables dans la composition des produits L’Oréal.
Une quête de « made in France »
À cela s’ajoute, crise économique aidant, un certain changement d’attitude des industriels et des consommateurs avec une quête de produits de proximité ou « made in France ».
« De ce point de vue, l’alcool agricole combine toutes les qualités et les utilisateurs en sont de plus en plus conscients », appuie Sylvain Demoures, secrétaire général du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA). « Il s’agit d’un produit totalement naturel, issu d’une ressource agricole à la fois durable, renouvelable et locale. De plus, il affiche un bilan carbone favorable ».
Cette tendance, largement à l’œuvre dans l’alimentation, gagne en force auprès de tous les fabricants acheteurs d’alcool, dans le non alimentaire. Pour l’amont agricole et les entreprises de transformation, elle passe par une documentation de plus en plus précise, voire des démarches de certification sur les conditions de production agricole dans des programmes de type « Agri Confiance » ou « Haute Valeur Environnementale ».
Ernst Van Der Linden de Cristal Union témoigne : « certains de nos clients, notamment les grandes marques les plus engagées, tiennent à faire eux-mêmes des visites dans les champs de betteraves pour se rendre compte des conditions de production ».
La tendance du bio
Cette tendance a même conduit, depuis peu, à l’apparition d’un marché pour des alcools agricoles surfin certifiés bio. Tereos vient justement de se lancer dans la première production, en France, d’alcool de betterave bio sous la certification Cosmos, propre à la filière cosmétique biologique. Une fabrication réalisée à la sucrerie distillerie d’Artenay (Loiret) avec de l’alcool issu de betteraves bio transformées à la sucrerie d’Attin (Pas-de-Calais).
« Cette production (…) s’inscrit dans une stratégie plus globale de développement de l’activité bio au sein de Tereos. Après une première campagne réussie en 2019, Tereos a accru ses surfaces emblavées en betteraves bio en 2020, passant de 200 à 500 hectares. Le nombre d’agriculteurs partenaires a, pour sa part, doublé avec plus de 60 planteurs engagés » rappelle le groupe.
Déjà certifié pour les applications alimentaires au travers de sa gamme Organic, Cristal Union a, lui aussi, décliné l’approche dans le secteur de la beauté par le biais d’alcools biologiques dénaturés pour la cosmétique, certifiés Ecocert et Cosmos. « Il s’agit encore d’un marché de niche. Mais les croissances sont extrêmement fortes sur ce segment », expose Ernst Van Der Linden. Ce dont témoigne aussi Lionel Nadal, p.-d.g de Nadal Alcools, un petit distributeur situé à Argelès-sur-mer (Pyrénées Orientales) qui se définit comme un « épicier de l’alcool ». « À notre niveau, nous avons perçu une demande, notamment de la part de PME régionales du secteur cosmétique bio. Nous avons décidé de lancer une gamme certifiée Cosmos », explique-t-il.
En matière de durabilité, et dans un tout autre registre, Dislaub opère pour une part de son activité dans la régénération d’alcool usagé issu de filières industrielles ou médicales (traitement du plasma sanguin…). L’alcool ainsi recyclé dans une logique d’économie circulaire étant ségrégué, puis dirigé exclusivement vers des applications peu sensibles : lave-glace, produits de nettoyage, chimie, etc…
La filière alcool aurait-elle trouvé la poule aux œufs d’or avec l’alcool surfin et, plus généralement, les usages non alimentaires ? Pas tout à fait ; la flambée de la demande du gel hydroalcoolique l’an dernier a, certes, multiplié un temps par dix la demande sur ce segment jusque-là marginal (environ 1 % avant la crise), mais une partie du soufflé est retombée et nombre de distributeurs ont eu recours à des importations de gel à bas prix.
À terme, un tout autre risque pointe son nez. Dans les négociations du traité commercial UE – Mercosur, la Commission a prévu un contingent d’importation à droits réduits pouvant aller jusqu’à 400 000 hectolitres d’alcool pour les applications industrielles. Le traité est bloqué à ce stade par la France. Pas pour toujours.
L’alcool brut issu de la distillation titre environ 92°. Dénommé flegme il s’agit d’un liquide jaunâtre, à l’odeur marquée. Il est purifié et rectifié par distillation fractionnée. A partir de 96°, le produit est qualifié d’alcool surfin, les grades allant ensuite, par déshydratation, jusqu’à 99,9% (alcool absolu).
Pour les applications non alimentaires non soumises aux accises, le produit est dénaturé par ajout d’un composé chimique amer. Les Douanes valident ce processus.
L’alcool dénaturé trouve de multitudes applications. Dans le domaine industriel, celles-ci comprennent notamment les produits détergents, y compris le vinaigre de ménage et autres solvants ou les encres. En pharmacie il est utilisé comme désinfectant ou base de sirop. Les industriels ont tous développé des grades surfins certifiés pour gels hydroalcooliques.
De nombreux cosmétiques contiennent de l’alcool comme propulseur (laques) ou constituant de base (eau de Cologne…). Les parfums titrent 80% minimum.
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