À La Chanvrière, tous les indicateurs sont à la hausse : le nombre d’hectares plantés (environ 10 500 ha, soit un millier de plus qu’il y a un an), celui des adhérents (520 au lieu de 440), le volume de production (60 000 t attendues cette année, 1 000 t de plus qu’en 2020) et même la capacité de production, qui a doublé pour passer à 100 000 t/an. La coopérative agricole auboise a en effet quitté son berceau historique de Bar-sur-Aube, où elle était implantée depuis 1973, pour s’installer dans une usine flambant neuve dont la construction a coûté 25 millions d’euros.
La nouvelle unité de production, bâtie en pleine nature à Saint-Lyé, au nord-ouest de Troyes, a été mise en service en février 2020 avec une première ligne de défibrage. Son installation s’est achevée un an plus tard avec le redémarrage de la ligne de production provenant de Bar-sur-Aube. Les deux usines ont travaillé en parallèle jusqu’en octobre. Largement automatisée, La Chanvrière emploie une quarantaine de personnes, et envisage d’embaucher si sa montée en puissance se confirme. Elle est d’ores et déjà la plus grosse unité de première transformation du chanvre en Europe, et peut-être au monde, l’incertitude planant sur les capacités chinoises. La Chanvrière traite « une grosse moitié du chanvre français, et un petit tiers du chanvre européen », comme le précise son président, Benoît Savourat, lui-même agriculteur à La Louptière-Thénard. Elle fabrique des produits finis (litières, granulats), ou semi-finis, sous forme de balles de fibres et de camions de graines.
Bioraffinerie du chanvre
L’impossibilité d’agrandir le site d’origine, couplée à la volonté « de se rapprocher du barycentre de la production » a dicté son déménagement. La Chanvrière se fournit désormais « dans un rayon de 120 km autour de Troyes ». Mais ce sont avant tout les perspectives de développement du chanvre dans ses très nombreuses applications qui ont incité les responsables de la coopérative à passer la surmultipliée. Cette plante à tout faire, dont on ne jette rien, règne déjà sur le marché mondial du papier à rouler pour cigarettes. On emploie aussi bien sa graine (le chènevis), sa partie centrale (la chènevotte) que sa fibre (la paroi végétale de la tige) dans l’alimentation humaine et animale, les litières pour petits et grands animaux, le jardinage, la méthanisation, la plasturgie, etc. Soutenue notamment par la communauté d’agglomération troyenne, qui souhaite faire du chanvre une filière d’excellence de son territoire, la coopérative cherche à accroître ses débouchés dans l’industrie textile (vêtements, tissus), le bâtiment (béton, isolants), la cosmétique et la santé.
Pour ce faire, un véritable foyer, baptisé pôle européen du chanvre, regroupant industriels, start-up, centres de recherche et développement et halle technologique, est en cours de préfiguration autour de l’usine, où la commune de Saint-Lyé a d’ores et déjà acté le principe de la création d’une zone d’activités dédiée. « On parle ici de bioraffinerie, de cracking du chanvre », souligne Benoît Savourat. « C’est le pétrole des années 1930-1940 ». Le chanvre : une plante en plein essor.
Plante rustique et écologique par essence (pas de traitement, pas d’arrosage ni d’irrigation), résistante à la chaleur et à la sécheresse, poussant vite et nécessitant peu de travail, sauf en périodes de semis et de récolte, le chanvre surfe sur la vague du développement durable. Il est également intéressant du point de vue économique. « C’est une plante rentable pour l’agriculteur », affirme le président de La Chanvrière, Benoît Savourat. Elle rapporte 1 400 euros par an et par hectare sur la base de 8 t de paille et d’1 t de chènevis. « Une étude a montré qu’en Champagne crayeuse, cela équivalait à une betterave à 90 t et 25 € ». La coopérative et ses adhérents, qui sont tous actionnaires, s’engagent sur des contrats de cinq ans garantissant prix, volume et qualité. Les agriculteurs fauchent eux-mêmes et stockent le chanvre sur leurs exploitations (sauf la graine, séchée et stockée par Vivescia à Châtres). L’usine est livrée toute l’année, par camion, en balles de 400 kg. La récolte a lieu en deux temps : une première fauche en août avant la formation de la graine, suivie de 5 ou 6 semaines de rouissage sur champ, pour alimenter l’industrie textile, notamment. Une seconde fauche à la mi-septembre, sans rouissage, destinée à l’industrie papetière. La première fauche représente aujourd’hui entre 15 et 20 % du total. La coopérative souhaite arriver à terme à la parité entre les deux récoltes, pour répondre à la demande du marché textile.