« Avec les crises que l’on traverse, les termes de souveraineté agricole et énergétique mettent de plus en plus en lumière l’importance des solutions portées par les agriculteurs méthaniseurs de France, notamment dans le mix énergétique qui n’est pas seulement le nucléaire, l’éolien ou le photovoltaïque. Il y a aussi le biogaz agricole », a rappelé Jean-François Delaitre, président de l’association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) qui s’est réunie en AG le 1er juin dernier près d’Yvetot en Seine-Maritime.
Jean-François Delaitre est agriculteur et planteur de betteraves à Ussy-sur-Marne dans le Val-de-Marne. C’est un précurseur. Il a été le premier agriculteur à injecter du biogaz dans le réseau GRDF. C’était en 2014. Depuis, l’effet méthanisation a fait boule de neige. L’association AAMF qu’il préside compte 500 agriculteurs méthaniseurs sur environ un millier recensé en France.
Devant les agriculteurs venus de toutes les régions de France, Jean-François Delaitre a formé le vœu que « le biogaz, cette énergie verte produite par les agriculteurs soit reconnue à sa juste valeur par les pouvoirs publics, trouve sa place dans le mix énergétique et, enfin, que la méthanisation s’intègre pleinement dans les filières agricoles à l’aube des discussions qui s’engagent sur la biomasse ».

« Notre ADN c’est l’agriculture »

« La méthanisation doit trouver sa place dans les filières agricoles » , a insisté le président de l’AAMF qui a rappelé que la méthanisation, ce n’est pas seulement produire du gaz ou de l’électricité, mais c’est aussi des déchets organiques, le digestat, qui sert de fertilisant pour les agriculteurs. Le gaz vert s’inscrit ainsi dans une économie circulaire. C’est une activité complémentaire pour les exploitations agricoles qui ne doit pas être vue comme un frein à l’agriculture, mais plutôt comme une activité agricole à part entière qui apporte un nouveau revenu à l’exploitation. « Nous sommes agriculteurs et méthaniseurs, mais notre ADN c’est l’agriculture », a lancé le président de l’association nationale qui souhaite que des liens plus forts soient recréés avec les filières agricoles.

« On se bouge pour la planète »

Être méthaniseur ne s’improvise pas. L’association aide les porteurs de projet. Elle a créé des référents territoriaux par région et va lancer le plan de 500 stations de biogaz en 2025.
Les journées nationales du biogaz auront lieu les 17 et 18 septembre 2022 sur le thème « on se bouge pour la planète ». L’association accompagne également les adhérents dans la communication et l’acceptabilité de leurs projets, avec notamment GRDF Trame.
Elle travaille au quotidien pour qu’aucun projet ne soit laissé en chemin. Mais la réglementation, les nouveaux textes et les directives ne sont jamais simples car la méthanisation est tiraillée entre les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, regrette le président. Le cadre réglementaire d’utilisation des CIVE (cultures intermédiaires à valeur énergétique) dans les méthaniseurs se joue actuellement avec la sortie attendue du décret Cultures.
À terme, 60 % de la ration d’un méthaniseur devront venir de ces cultures intermédiaires. Un autre sujet préoccupe en ce moment la profession : la directive européenne RED II qui oblige les unités de méthanisation à démontrer leur durabilité.
En 2030, la méthanisation agricole pourrait représenter 20 % du gaz consommé en France, soit l’équivalent du gaz russe importé aujourd’hui. Les agriculteurs y croient et proposent des solutions pour que le gaz vert prenne toute sa place, à l’image de Mathieu Deschamps.
Ce jeune agriculteur de Cléville (76) a créé en 2021 avec 3 associés une unité de méthanisation en injection de 250 Nm3, E’ Caux Biogaz. Son but : produire du biogaz avec l’objectif à terme de passer en bio GNV et construire une station pour alimenter une flotte de véhicules sur son territoire. Une visite de ses installations a clôturé cette assemblée générale, qui laisse entrevoir des perspectives de développement en France.

TÉMOIGNAGE : BENJAMIN DELOISON EN SEINE-ET-MARNE

« Sans la méthanisation, la ferme n’aurait pas été viable »

Benjamin Deloison est âgé de 33 ans. Il s’est installé dans la ferme familiale, à Limoges-en-Fourches dans le Gâtinais, en Seine-et-Marne. Il produit 60 hectares de betteraves sucrières. Il a construit avec trois exploitants agricoles un méthaniseur de 190 Nm3 (Normo mètre cube). L’unité est alimentée chaque jour par 40 tonnes d’intrants composés de pulpe de betteraves et de cultures intermédiaires à valeur énergétique (Cive). L’investissement est de 6,4 M€.
Le biogaz est directement injecté dans le réseau de GRDF avec lequel il a un contrat de 15 ans. « Sans le projet de méthanisation agricole je ne serais pas revenu sur la ferme. Cela n’aurait pas été viable », déclare le jeune agriculteur qui a fait une école de commerce avant de passer un bac pro agricole pour mener à bien son projet agricole.

TÉMOIGNAGE : DAVID BATTEUX DANS L’AISNE

« La méthanisation donne des crédits carbone »

David Batteux est planteur de betteraves sucrières à Monceau-sur-Oise, dans l’Aisne. Il cultive 76 hectares de betteraves, du blé, du maïs, de l’orge, de l’escourgeon et de la luzerne pour ses bovins croisés Aubrac. Il a construit un méthaniseur en 2020 avec quatre agriculteurs de 201 Nm3, alimenté par 38 tonnes d’intrants par jour, dont 30 % de pulpe de betteraves, 30 % de Cive, 20 % de déchets agroalimentaires et 10 % de déchets de coopératives agricoles. Coût de l’investissement : 5 M€.
Le gaz produit par le méthaniseur qui vient d’être injecté sur le réseau de GRDF est équivalent à la consommation de 6 communes et de 15 000 habitants, plus deux exploitations agricoles.
Avec les digestats utilisés comme fertilisants, il économise 50 % des engrais minéraux sur blé et 50 % de l’azote liquide sur les betteraves à sucre.
David Batteux souhaite que la filière se structure afin de bien vendre les crédits carbone de l’exploitation. « Je serais heureux que ma sucrerie rachète mes crédits carbone. Elle pèserait plus lourd sur le marché que nous, simples agriculteurs », estime le planteur de betteraves de l’Aisne.