Le marché mondial continue sur sa lancée euphorique : le sucre brut sur le terme proche a dépassé les 17 cts/lb le 18 février (du jamais-vu depuis mars 2017), et le sucre raffiné suit la tendance.
Même les termes éloignés prennent des couleurs : l’échéance de décembre 2021, pour le sucre raffiné, a gagné presque 50 $/t en moins de deux mois, et dépasse les 425 US$/t. Pour les planteurs britanniques, qui ont la possibilité d’indexer jusqu’à 10 % du prix des betteraves qui seront semées le mois prochain sur ce marché à terme, c’est déjà l’assurance d’une betterave payée autour de 28 €/t.
Et du côté européen ? C’est encore la douche froide. La dernière valeur officielle dont on dispose, alors qu’on est à la veille des semis, vient d’être diffusée par la Commission européenne : en novembre, le sucre a quitté les usines de la vaste zone qui inclut la France, à 369 €/t en moyenne. Donc, aucun changement depuis… mars 2020.
En neuf mois, alors que le marché mondial a pris 100 $/t sur la période, et que l’Europe a produit 1,5 Mt de sucre de moins à cause de la jaunisse en France, le marché reste atone. Aucune reprise, aucun rebond.
Combien de temps va-t-on assister à cette guerre des prix, à cette concurrence acharnée où chaque acteur s’estime plus robuste que l’autre pour endurer ses effets – et en espérant surtout que l’autre meure avant lui ? À ce jeu, tout le monde y laissera des plumes, et le planteur en premier : comment peut-on décemment espérer un maintien des surfaces dans ces conditions ?
S’il y en a qui s’en frottent les mains, ce sont les exportateurs de sucre de l’Union européenne. D’une part, ils sont assurés d’un volume conséquent sur la campagne. Et surtout, ils savent, visiblement bien mieux que nous, passer les hausses de prix. Depuis la campagne 2019-2020, déficitaire en Europe, ils ont su faire grimper leur prix de vente de 25 %, et ils continuent. En novembre, le sucre blanc des pays ACP a ainsi été livré en Europe à 445 €/t, prix CAF. Presque 80 €/t de plus que notre prix, sortie usine. Dans le même temps, notre prix n’a, lui, gagné que 15 % – alors qu’on a réduit, en France, notre offre de 29 % !
Si les ventes européennes avaient suivi le même rythme haussier que les ventes de sucre importé, on serait enfin au-delà du seuil de référence communautaire (404 €/t). Que de temps perdu.
Il est urgent, désormais, de mettre de l’ordre dans la manière dont le sucre est vendu dans l’Union – il y va de la survie de notre filière. Rien ne dit que les marchés mondiaux poursuivront leur rebond : certains analystes anticipent déjà une campagne mondiale 2021-2022 en excédent. Rater le coche, pour une raison qui est propre à la filière (le mode de contractualisation du sucre, entre sucrier et industrie utilisatrice, sur son propre territoire, est resté inchangé malgré la fin des quotas) serait dramatique. Indexation des prix de betterave sur les marchés à terme, indexation des prix de vente du sucre sur les prix spots, rénovation des engagements contractuels en fonction des fondamentaux européens : les planteurs sont en droit d’attendre des propositions des sucriers pour continuer à y croire.