La foulque ne fait pas partie de l’aristocratie du marais. Avec la poule d’eau et le râle, disons qu’elle appartient au « tiers état ». Contrairement à la poule d’eau, timide et peureuse, sortant du couvert à contrecœur, avec des palpitations qui font frémir sa queue blanche, la foulque est débonnaire. Elle « bouchonne » par dizaines à la surface. Il est vrai qu’elle sait prendre ses distances : on la trouve plus souvent au large qu’au bord. L’union fait la force. Au milieu de ses congénères, elle se sent en sécurité. On la confond parfois avec la poule d’eau. Les deux oiseaux sont sombres mais les différences éclatantes. La foulque est plus grande, le dessous de sa queue n’est pas blanc et surtout, elle porte sur le front une amande d’un blanc immaculé. L’œil est couleur rouille. Les pattes ne sont pas « palmées » comme on l’entend parfois, mais « festonnées », comme si le créateur s’était amusé à découper la membrane en un élégant motif.
Cette sirène se nourrit en plongeant jusqu’à trois mètres de profondeur pour aller saisir les lambeaux végétaux qui lui conviennent.
Poules d’eau et foulques cohabitent, se croisent de temps en temps mais s’ignorent. Nous l’avons dit : la poule d’eau ne sort du couvert que si elle se sent vraiment en sécurité, alors que la foulque n’a pas ce souci : elle nage les trois quarts du temps. Il arrive que les deux commères se croisent quand elles sont toutes les deux sur la terre ferme. La grande se prélasse alors que la petite se nourrit. La grande peut à l’occasion se jucher sur une souche ; la petite, plus habile, peut, elle grimper aux arbres. La grande somnole et prend le soleil ; la petite, aiguisée par mille curiosités, ne tient pas en place.
La foulque ne jouit pas d’une forte cote cynégétique. La plupart du temps, le sauvaginier la dédaigne et si, à la hutte, il prend une « blairie » – comme on dit en Picardie – c’est que vraiment le canard n’était pas là.
Pourtant de même que le pigeon ramier transformé en « palombe » devient phénix au sud de la Garonne, la foulque s’ennoblit dans le Languedoc.
Battues de « macreuses »
Là-bas, elle change de nom et devient « macreuse ». Pourquoi lui avoir donné le nom d’un canard marin bien connu ? Mystère.
On chasse donc la pseudo « macreuse » lors de grandes battues.
Le principe consiste à cerner les oiseaux avec des bateaux disposés en fer à cheval. Ils poussent « l’escapoulon » (la bande) vers la berge. Se sentant prisonniers, les oiseaux s’envolent et passent au-dessus des chasseurs postés sur les berges ou à bord de bateaux.
« Quel spectacle offrent ces milliers d’oiseaux s’élevant dans le ciel et tournoyant avant de passer au-dessus des chasseurs ! » écrit un témoin émerveillé.
Certains réalisent de magnifiques tableaux, d’autres gâtent bon nombre de cartouches avant de tomber leur première foulque. Il faut dire que les chasseurs, assis dans un bateau, en mouvement perpétuel, n’ont pas la tâche facile, d’autant que le volatile dérive avec le vent.
Ce n’est pas tout de faire tomber une foulque. Il faut encore « l’assuquer » (l’assurer) ce qui peut demander une dizaine de cartouches. Le gibier, en nageant, s’enfonce dans l’eau et ne laisse apparaître que la tête et le haut du dos. En patois local, on dit qu’elle « nègue ». Et non seulement elle « nègue », mais elle plonge aussi et réapparaît hors de portée.
Comme les cygnes en bois peint
Dans ma jeunesse, j’ai chassé la foulque ou plutôt la « judelle » comme on l’appelle dans l’ouest du pays, sur un étang d’une trentaine d’hectares. Il y en avait deux à trois cents chaque hiver et nous faisions une battue dans l’esprit des battues méridionales.
La foulque est paresseuse. Quand le bateau s’approche, elle émet toute une série de gloussements et nage plus vite. C’est seulement au moment où elle comprend que le bateau est trop près qu’elle se décide à s’envoler. Le décollage ressemble à celui des hydravions lourdement chargés du Québec. On a le sentiment qu’elle ne quittera jamais l’eau. Au bout de trente mètres, elle y parvient mais sans rentrer le train, je veux dire les pattes, qui continuent à pendre.
Ce gibier pense peu. Une fois en l’air, au lieu de prendre un grand parti et de vider les lieux, il tourne et retourne comme les cygnes en bois peint des manèges de foire.
Si on le rate à l’aller, on le récupère au retour.
C’est la raison pour laquelle il ne faut pas abuser des circonstances et arrêter le tir au bout d’un moment. Le cheptel, certes entamé mais pas détruit, se regroupe au bout d’un moment sur le lieu même où vous l’aviez délogé.
La foulque n’a pas une grande réputation gastronomique. Un charcutier des environs d’Angers nous faisait des pâtés. Accompagnés de cornichons craquants et d’un cabernet de noble origine, personne ne s’en est jamais plaint.