Quelle année pour le marché du sucre ! Au printemps dernier, alors que le sucre dépassait les 15 cts/lb – ce qu’il n’avait pas fait depuis trois ans – la crise de la Covid-19 lui a fait perdre le tiers de sa valeur. Les spéculateurs craignaient alors un surplus mondial majeur, du fait d’une consommation pénalisée par les annonces de confinement à travers le monde, et vendaient à tour de bras.
Depuis, la vision est tout autre car, même si le Brésil a poussé à fond le débouché sucrier de sa canne au détriment de sa filière éthanol, il est désormais évident que cela ne suffira pas à répondre à la demande mondiale. Et ça y est, le marché a retrouvé son niveau d’avant la crise : nous voilà à nouveau autour de 15 cts/lb, un niveau qui n’a aucune de raison de flancher avant la prochaine campagne brésilienne, en avril prochain. Pour autant, peut-on se réjouir et dire que les effets de la crise de la Covid-19 sont derrière nous ?
Malheureusement, pas du tout. Ce serait oublier l’effet bien plus pernicieux, et sur le long terme, de cette crise. Non pas sur le sucre en lui-même, mais sur l’économie brésilienne. Avec près de 175 000 morts, le pays est le second pays du globe le plus touché par le virus. Les tensions entre le pouvoir fédéral et les états sur la gestion de la pandémie ont débouché sur une nouvelle crise politique, alors même que l’on estime que le PIB du pays devrait chuter de 10 % en 2020.
Le réal s’effondre
Crise sanitaire, politique, économique : le pays, en perdant la confiance des investisseurs, voit sa monnaie, le réal, s’effondrer. Le tiers de sa valeur est parti en fumée depuis le début de l’année, et il faudra du temps pour qu’elle s’en remette.
Pourquoi est-ce si grave ? Car, en moyenne, produire du sucre au Brésil, puis le charger sur un bateau prêt à partir, coûte autour de 1 100 BRL. A la veille de la fin des quotas européens et, alors que la parité monétaire était autour 3 BRL/$, cela correspondait à un prix mondial du sucre roux entre 16 et 17 cts/lb, une valeur pas si éloignée du seuil de rentabilité européen. Mais maintenant que le Réal vaut 5,3 BRL/$, l’industrie brésilienne commence à dégager des marges dès que le marché à terme du sucre brut dépasse les 9,5 cts/lb. Autant dire qu’actuellement, la filière sucre brésilienne connaît une année prospère. Et que, avec notre euro fort, il nous est totalement impossible de lutter.
D’ailleurs, les premières statistiques de notre nouvelle campagne européenne montrent que le sucre brésilien commence à entrer sur le territoire européen. Un premier envoi de 30 000 t vient d’être enregistré par la Commission européenne en novembre. Ce sucre devra pourtant payer un droit de douane réduit. Mais au prix du marché du spot européen (au-dessus de 450 €/t livré à l’utilisateur, pour un sucre raffiné), les Brésiliens auraient tort de s’en priver. D’autant que le sucre européen ne semble pas disponible : le peu qui a été produit du fait des rendements catastrophiques aurait déjà été contractualisé. Espérons seulement que ce soit, au moins, à ce niveau de prix !