La sucrerie de Souppes-sur-Loing est assez originale dans le paysage sucrier français…
La Sucrerie & Distillerie Ouvré Fils a été fondée en 1873 par Félix Ouvré. C’est la dernière sucrerie familiale à être dirigée de père en fils depuis six générations et à avoir conservé la majorité du capital. Elle commercialise elle-même le sucre et la mélasse, et travaille avec deux organisations de planteurs : la Sica de la vallée du Loing, qui produit de l’alcool, et la Sica gâtinaise de déshydratation, qui traite et vend les pulpes en direct. Il y a donc trois entités indépendantes sur le site de Souppes-sur-Loing.
Vous êtes situé dans la région la plus atteinte par le virus de la jaunisse. Comment avez-vous vécu cette campagne ?
Entre 80 et 100 % des surfaces sont touchés simultanément par la jaunisse et la sécheresse. Cela fait des décennies que l’on n’a pas vu des rendements aussi faibles. Les betteraves ne seront pas faciles à transformer, ce qui conditionnera la cadence de l’usine. Il ne faut pas s’attendre à extraire 147,5 kg de sucre par tonne de betterave, qui était le rendement d’achat sous le régime des quotas. La commission interprofessionnelle s’est tenue le 2 septembre, et j’ai arrêté la date d’ouverture de l’usine au plus tôt le lundi 5 octobre. Ce sera une toute petite campagne.
Certains planteurs envisagent d’arrêter la betterave en 2021. Comment comptez-vous les convaincre de continuer ?
Je leur rappelle que la betterave est une très bonne tête d’assolement. S’ils arrêtent la betterave, par quelle culture voudraient-ils la remplacer ? L’annonce du ministre de l’Agriculture, cet été, nous a redonné de l’espoir et la demande de dérogation pour obtenir des néonicotinoïdes en enrobage des semences est en bonne voie. Je suis confiant, car c’est un enjeu de pérennité pour toute la filière sucrière. Si l’on ne fait plus de sucre en France, nous allons alors l’importer du Brésil ? Ce serait un non-sens écologique.
Et puis, ce n’est pas maintenant qu’il faut arrêter de cultiver la betterave, alors que le marché du sucre amorce un retour à l’équilibre. Il est vrai que les prix ont fortement baissé, mais ils vont potentiellement remonter. Les betteraves ont été bien rémunérées dans les années passées. Il y a deux ans, je m’étais engagé au niveau de 26 €/t, et puis le prix du sucre s’était effondré. J’ai tenu mes engagements. Ce serait un juste retour des choses pour notre usine que les planteurs restent fidèles à la betterave.
Dans le passé, vous avez proposé de bons prix pour la betterave. Comment commercialisez-vous le sucre ?
C’est vrai, notre capacité de commercialisation est, semble-t-il, meilleure que celle de certains de nos concurrents, ce qui nous permet de mieux rémunérer les betteraves. Le fait d’être une entreprise familiale avec une seule usine nous donne une souplesse et une réactivité.
Comment le prix de la betterave est-il défini à la sucrerie de Souppes ?
Nous avons un système de grille de prix avec une corrélation entre le prix du sucre et celui de la betterave. Elle a été discutée en commission de répartition de la valeur (CRV), appliquée pour la campagne 2019 et reconduite pour 2020. De plus, j’arrête un prix minimum pour la betterave en fonction des perspectives du marché du sucre. Si le sucre est vendu au-dessus du prix attendu, les planteurs touchent un supplément. En 2019, le prix minimum était de 23 €/t, hors pulpe. J’attends la clôture de l’exercice, fin septembre, pour annoncer le supplément de prix, qui devrait être entre 50 centimes et 1 € la tonne. Il sera connu fin novembre-début décembre.
Et pour 2020 ?
Nous avons gardé le même système, mais j’ai ajouté une clause de fidélité. Si le planteur n’a pas réduit sa surface dans une certaine limite par rapport à 2019 et qu’il livre la totalité de son contrat, il peut bénéficier d’une prime plus ou moins élevée selon le niveau de ses livraisons.
Pourquoi la Sica de la Vallée du Loing ne produira-t-elle pas d’alcool cette année ?
Dans le contexte actuel, où il y a très peu de betteraves à travailler, la Sica a décidé de ne pas produire d’alcool. 100 % des betteraves livrées à la sucrerie seront transformées en sucre et, donc, payées plus cher. C’est une décision exceptionnelle qui a été prise dans l’esprit de soutenir la filière, à la fois pour les planteurs, en termes de rémunération, et pour la sucrerie, en termes de volume de sucre à produire.
Comment seront payées les betteraves de 2021 ?
Je conserve le même système, car c’est le meilleur moyen d’avoir une répartition équitable de la valeur, mais le prix plancher n’est pas encore annoncé. Je ne peux pas fixer un prix si je ne connais pas, au minimum, les intentions de semis des planteurs. Je pense qu’on y verra plus clair après le vote de la loi sur les néonicotinoïdes.
Comment qualifieriez-vous votre relation avec les planteurs ?
J’ai le sentiment d’avoir de bonnes relations avec nos planteurs. Je les connais depuis maintenant dix-sept ans. Après la réforme de 2017, la création de la CRV, où l’on discute de ce qui s’articule autour du contrat, a permis à leurs représentants de mieux comprendre le métier de sucrier. Cela nous a rapprochés un peu plus. C’est important dans cette période difficile, et cela renforce notre unité.