Mécanismes de transmission de la jaunisse
Qu’est-ce que la jaunisse ?
La jaunisse regroupe un complexe de trois virus :
• la jaunisse modérée, causée par deux virus génétiquement proches, de la famille des Luteovirus (genre Polerovirus) : le Beet Chlorosis Virus (BChV) et le Beet Mild Yellowing Virus (BMYV) ;
• la jaunisse grave, causée par un seul virus appartenant la famille des Closterovirus : le Beet Yellows Virus (BYV).
Quels virus présents au champ ?
En octobre dernier, 96 prélèvements de betteraves ont été effectués par les délégations régionales de l’ITB dans quatorze départements betteraviers. Les virus responsables de la jaunisse modérée (BChV et BMYV) sont détectés dans 94 % des échantillons analysés, dont 73 % pour le seul BChV. Le BYV, responsable de la jaunisse grave, n’est détecté que dans 7 % des échantillons (voir BF n° 1102 du 10/12/2019).
Quelles sont les espèces de pucerons vecteurs ?
Ces trois virus sont tous exclusivement transmis par des pucerons vecteurs lorsqu’ils piquent les feuilles de betteraves pour y prélever de la sève. Le puceron vert du pêcher, Myzus persicae, est le principal vecteur de la jaunisse en raison de très bonnes capacités de transmission des virus de la jaunisse modérée (BChV et BMYV) comme de celui de la jaunisse grave (BYV). Le puceron noir de la fève, Aphis fabae, est un vecteur secondaire du BYV, mais ne transmet pas le BChV ni le BMYV.
Il existe d’autres espèces de pucerons verts vecteurs des virus de la jaunisse telles que Macrosiphum euphorbiae, Acyrtosiphon pisum, Myzus ascalonicus ou Aulacorthum solani pour n’en citer que quelques-unes, mais celles-ci sont minoritaires et leurs capacités de transmission bien plus faibles que celles de Myzus persicae.
Où les virus passent-ils l’hiver ?
La jaunisse est apportée dans les champs de betterave au printemps par les vols de pucerons, principalement Myzus persicae, qui ont pu acquérir le virus sur des plantes réservoir. Il s’agit en premier lieu de repousses foliaires dans les silos de betteraves fourragères et dans les cordons de déterrage des betteraves sucrières. Les épinards d’hiver ainsi que diverses adventices dans les champs et talus (mouron blanc, séneçon vulgaire, capselle bourse-à-pasteur, véronique commune, Beta maritima) constituent également des réservoirs viraux. Enfin, un certain nombre d’espèces, sans être hôtes des virus de la jaunisse, abritent néanmoins des populations de Myzus persicae : il s’agit bien sûr du colza mais également de crucifères d’interculture comme le radis ou la vesce.
À quel stade la betterave est-elle la plus sensible au virus ?
La période à risque commence dès l’apparition des premiers pucerons dans les parcelles, au plus tôt fin avril début mai, soit à partir du stade 2 feuilles jusqu’à la couverture du sol fin juin. Sur des plantes non protégées, la dissémination du virus et des symptômes associés peut continuer jusqu’à la récolte, mais les plantes plus âgées (au-delà du stade 12 feuilles) sont naturellement plus résistantes aux pucerons et à la transmission virale. Ce phénomène est connu sous le nom de « résistance à maturité », il affecte notamment la capacité des pucerons à se nourrir et se multiplier sur les plantes, mais ses déterminants sont à ce jour encore mal connus.
Combien de temps un puceron doit-il se nourrir sur une plante avant d’être infectieux ?
Cela dépend du type de virus. Pour les virus de la jaunisse modérée (BChV et BMYV), qui sont dits « persistants », le temps d’acquisition sur une plante infectée est d’environ 48 à 72 heures, et le puceron reste infectieux à vie. En revanche, pour le virus de la jaunisse grave (BYV), dit « semi-persistant », le temps d’acquisition est plus court, de quelques minutes à plusieurs heures, et le virus est perdu dans les 24 à 48 heures qui suivent. Aucun de ces virus ne peut être transmis à la descendance des pucerons infectés.
Quel est le temps de latence entre le moment où la plante est infectée et celui où elle exprime des symptômes ?
Le temps de latence est en général de deux à quatre semaines mais serait plus court pour la jaunisse grave (une ou deux semaines) que pour la jaunisse modérée (quatre à six semaines). Dans tous les cas, il n’y a pas de solution curative pour traiter les symptômes, le contrôle des pucerons doit être effectué avant l’apparition des symptômes dans les champs.
Comment saurai-je si mon champ est infecté par la jaunisse ?
Les feuilles infectées par la jaunisse prennent une teinte jaune-orangée, puis elles s’épaississent et deviennent cassantes. Un champ infecté présente des ronds de jaunisse répartis aléatoirement en fonction de la dispersion des foyers d’infection. Cette répartition par ronds permet de bien différencier les jaunisses virales d’autres jaunissements par exemple dus à des carences physiologiques. Les symptômes sont généralement bien visibles à partir du mois de juillet.
Gestion du risque jaunisse à la parcelle
Quel est le risque de pertes de rendement en cas d’infection ?
D’après les données collectées par l’ITB en 2017 et 2019 sur un grand nombre de parcelles, la jaunisse modérée entraîne une perte de productivité moyenne à l’intérieur des zones touchées de 28 %. Ainsi, à l’échelle de la parcelle, 10 % de surface infectée représentent une perte de rendement racine d’environ 3 t/ha. L’impact du virus sur la richesse peut aller jusqu’à 0,5 point en moins.
La jaunisse grave (BYV), elle, n’était que très peu présente sur le territoire français en 2019. Cependant, des essais menés en Grande-Bretagne ont révélé des pertes de productivité à l’intérieur des ronds de 40 à 50 %. La gestion du risque passe donc par des actions préventives visant à éviter que le puceron vecteur ne contamine les plantes.
Y a-t-il également un risque en cas de fortes infestations d’aptères noirs ?
Rappelons en premier lieu que les aptères noirs (Aphis fabae) ne sont pas vecteurs de la jaunisse modérée et uniquement des vecteurs secondaires de la jaunisse grave. Les colonies de pucerons noirs peuvent cependant occasionner des dégâts directs en s’alimentant sur les feuilles de betterave (perte de vigueur des plantes). Ces pucerons produisent également, en se nourrissant, du miellat à l’origine du développement de la fumagine, c’est-à-dire des moisissures noires sur la face inférieure des feuilles. Deux essais conduits par l’ITB et Tereos en 2019 ont montré que même en cas de fortes infestations par des colonies d’aptères noirs il n’y avait pas de retombées sur le rendement en l’absence de jaunisse. Il est donc déconseillé de fonder ses décisions d’intervention uniquement sur la base d’observations de pucerons noirs. Cela serait contre-productif économiquement parlant et risquerait de diminuer l’efficacité des produits. D’autre part, les traitements à base de pyréthrinoïdes ou carbamates ne sont pas des aphicides stricts et détruisent également la faune auxiliaire, qui régule naturellement les colonies d’aptères noirs en cours d’été.
Les auxiliaires, des amis utiles contre les pucerons ?
Il existe tout un cortège d’auxiliaires de la betterave, prédateurs comme parasitoïdes. Les prédateurs spécialistes des pucerons sont les coccinelles, syrphes, chrysopes, punaises mirides et cantharides. Les coccinelles par exemple déposent des œufs jaune orangé sous les feuilles de betteraves. Au stade larvaire, un individu ingurgite en moyenne 3 000 pucerons pour assurer son développement. Les femelles adultes peuvent quant à elles dévorer 300 000 adultes au cours de leur vie. D’autres familles d’auxiliaires, comme les micro-hyménoptères parasitoïdes, pondent leurs œufs à l’intérieur des pucerons, œufs dont le développement conduira à la mort des individus parasités. Enfin, des agents pathogènes comme les champignons de l’ordre des entomophthorales, contribuent aussi à la régulation naturelle des populations de pucerons.
Quel réseau de surveillance en 2020 ?
Les experts de l’ITB, les services agronomiques des sucreries ainsi que les autres observateurs du Bulletin de santé du végétal (BSV) effectuent une veille hebdomadaire sur le risque pucerons. Environ 200 parcelles d’agriculteurs sont suivies dans le cadre de ce réseau de surveillance biologique du territoire (SBT). Lors de ces observations, des comptages d’aptères verts sur cinq séries de cinq betteraves sont effectués sur chaque parcelle. L’information est rapidement saisie dans l’outil commun Vigicultures. Cette base de données nationale est ensuite synthétisée localement lors de la rédaction des BSV et alimente également l’OAD Alerte pucerons en temps réel. Le conseil intègre les observations de terrain, ainsi qu’une expertise s’appuyant sur les prévisions météorologiques ou des analyses annexes, comme des analyses sérologiques pour confirmer la présence de virus.
Quel est le seuil de risque ?
L’ITB a défini, sur la base de son expertise historique et des seuils appliqués chez nos voisins européens, un seuil de risque jaunisse égal à 10 % de plantes colonisées par au moins un aptère vert.
Comment et quand serai-je informé ?
L’ITB et la filière mettent régulièrement à disposition les dernières données issues du réseau de surveillance ainsi que leur analyse du risque. Ces informations sont utiles pour ne pas se laisser surprendre par la progression des vecteurs. Toutefois, les observations doivent être faites à la parcelle avant chaque prise de décision.
Vos sources d’information :
• les notes d’informations régionales de l’ITB auxquelles vous pouvez vous abonner sur www.itbfr.org. Ces articles sont personnalisés par région, à partir des données d’observations récoltées chaque semaine, et avec les conseils des experts techniques de l’ITB,
• le Bulletin de santé du végétal (BSV) diffusé chaque semaine et reprenant plusieurs cultures dont la betterave,
• l’OAD Alerte pucerons mis à disposition par l’ITB et actualisé automatiquement avec les dernières observations.
Anticiper le risque et décider d’intervenir
Quel est le risque jaunisse à proximité de mes parcelles ?
Pour estimer le risque jaunisse, il est nécessaire de repérer, d’identifier et de dénombrer régulièrement les pucerons aptères verts dans les parcelles. La filière est déjà organisée au sein du réseau de suivi biologique du territoire et surveille activement quelques centaines de sites sur l’ensemble des régions de production. Chaque parcelle est surveillée une fois par semaine par un expert betteravier si elle n’a pas fait l’objet d’un traitement aphicide dans les deux semaines précédentes. Ces champs sont conduits selon un itinéraire technique classique, au plus proche des pratiques des agriculteurs. Les informations de ce réseau permettent d’estimer la progression du risque dans chaque secteur et d’inciter l’agriculteur à observer ses parcelles au moment opportun. Les notes d’informations de l’ITB et le Bulletin de santé du végétal présentent régulièrement un état des lieux synthétique ainsi qu’une analyse d’expert.
Comment utiliser l’OAD Alerte pucerons ?
Cet outil d’aide à la décision est proposé gratuitement par l’ITB, à partir des observations du SBT. L’accès se fait via le bandeau de l’article consacré sur le site de l’ITB ou via ce code QR. La carte de France permet de retrouver les informations des sites surveillés en vous déplaçant et en zoomant. Le survol des points d’observation renseigne sur la variété semée, la commune ainsi que la dernière date d’observation. La couleur des points indique le nombre de traitements préconisés sur la parcelle. Dès que le seuil d’intervention est atteint sur une parcelle, celle-ci se colore en T1, et le reste même après l’application d’insecticides. Puis, si le seuil est de nouveau dépassé après la période d’efficacité du produit, une pastille T2 est affichée pour inciter à protéger la parcelle une seconde fois. On peut ainsi avoir une idée de l’évolution du risque jaunisse autour de chaque exploitation en regardant plusieurs sites voisins. Toutefois, il est impératif de vérifier le dépassement du seuil dans les parcelles avant toute intervention. Enfin, le bandeau de gauche détaille la légende, rappelle l’utilisation de l’outil et les mentions légales. Les liens vers les notes d’informations y sont également repris.
! On peut ainsi avoir une idée de l’évolution du risque jaunisse autour de chaque exploitation en regardant plusieurs sites voisins. Il est toutefois impératif de vérifier le dépassement du seuil dans ses propres parcelles avant toute intervention.
Alerte pucerons a-t-il fait sa mue ?
L’OAD Alerte pucerons a changé d’adresse et de charte graphique. En effet, afin de simplifier la lecture de la carte de risque, l’ITB a simplifié et homogénéisé la légende. L’ancienne grille de lecture (seuil x nombre de traitements) fait place à une échelle plus lisible. La couleur des points change ainsi selon le nombre de fois où la présence des pucerons aptères verts nécessite une intervention. Ce choix graphique permet de mieux visualiser la dynamique des populations à l’échelle régionale et de mieux anticiper les observations. Les grandes zones de risque sont désormais identifiables d’un seul coup d’œil selon leur teinte. Si vous avez utilisé Alerte maladies l’année dernière, vous retrouverez désormais la même légende dans Alerte pucerons. L’interface générale est restée similaire mais se charge désormais beaucoup plus rapidement et ne laissera pas de côté les petites connexions.
! L’adresse de l’outil ayant changé, RDV dans la rubrique Outils & Services de www.itbfr.org.
Une fois le risque avéré, comment se protéger contre les pucerons des trois vecteurs ?
La dernière page de ce cahier technique présente les différents produits utilisables ainsi que les recommandations d’utilisation. Les betteraviers peuvent également s’abonner aux notes d’informations de l’ITB pour être avertis des évolutions techniques et réglementaires.
! L’intervention doit être précédée d’une vérification à la parcelle.
Intervenir de manière appropriée
La lutte contre le puceron vert doit être réalisée au moyen de traitements foliaires appropriés à appliquer au bon moment.
Quels produits utiliser ?
L’ITB a mis en place en 2019 des essais afin de comparer l’efficacité de différents produits insecticides homologués pour cet usage. La figure 5 présente l’évolution de la fréquence de plantes colonisées par des aptères verts après l’application de différents produits insecticides au 31 mai, date de franchissement du seuil de 10 % de plantes touchées. Les produits Teppeki (flonicamide) + huile homologuée et Movento* (spirotétramate) ont permis un contrôle efficace des populations de pucerons verts. Les produits Karaté K et Mavrik jet n’ont en revanche pas été efficaces.
*Dérogation de 120 jours accordée le 9 avril 2019
La figure 6 présente la moyenne des résultats sur cinq essais ITB en 2019 après un traitement effectué fin mai. Les produits Teppeki et Movento* permettent une diminution du nombre d’aptères verts, ce qui n’est pas le cas des produits Karaté K et Mavrik jet où les pucerons verts sont en augmentation.
Un essai en Normandie a montré des résultats différents pour le produit Movento*, où le nombre de pucerons aptères a continué à augmenter après un traitement mi-mai – plus précoce que dans la synthèse précédente. Les températures sur les cinq jours qui encadraient le traitement allaient de 5 °C à 14 °C dans cet essai tandis qu’elles variaient entre 11 °C et 19 °C pour le traitement fin mai. La matière active spirotétramate est véhiculée dans la plante par systémie, des conditions poussantes sont donc nécessaires pour une bonne efficacité du produit.
Programme insecticide contre les pucerons
Un essai a été mis en place dans le Nord-Pas-de-Calais afin d’évaluer l’incidence de la jaunisse en fonction de la stratégie insecticide mise en place contre les pucerons. Il s’appuyait sur les deux seuls produits efficaces et autorisés en 2019 : le Teppeki, à base de flonicamide, et le Movento*, à base de spirotétramate.
Par rapport au témoin non traité pour lequel la gravité finale de la jaunisse était de 12 %, les programmes avec un traitement aphicide ont permis de réduire l’impact de la jaunisse. Avec un T1 Teppeki appliqué au seuil, la gravité était d’environ 3,5 %. Les programmes avec deux traitements aphicides ont permis un excellent contrôle de la jaunisse avec une gravité autour de 1 %. Il est également nécessaire de souligner l’importance du positionnement du passage insecticide. Une différence de près de 4 % de gravité jaunisse est observée entre un traitement bien positionné et un traitement trop tardif.
En résumé, l’ITB conseille pour 2020 les produits suivants :
• Teppeki (flonicamide), une seule application à partir de 6 feuilles des betteraves à 0,14 kg/ha,
• Movento (spirotétramate), avec les mêmes conditions d’emploi qu’en 2019 si la demande de dérogation est acceptée. Le Teppeki est à privilégier à partir du stade 6 feuilles des betteraves.
L’ITB avec le soutien de la société Bayer a demandé le 14 février 2020 une dérogation d’AMM (Autorisation de Mise en Marché) de 120 jours du produit Movento (à base de spirotétramate) avec les mêmes conditions d’emploi que 2019 afin de lutter, en betteraves, contre les pucerons vecteurs de jaunisses virales. Cette demande de dérogation d’AMM a été accordée le 26 mars pour une période de 120 jours, soit jusqu’au 23 juillet 2020 et pour 2 applications du stade 2 feuilles à couverture du sol. Le Movento apportera une protection complémentaire dans la lutte contre la jaunisse virale, avec un mode d’action différent du Teppeki. Dans tous les cas il convient d’observer ses parcelles avant toute décision de traitement. Les produits à base de pyréthrinoïdes (Karaté K, Mavrik Jet, etc.) sont à éviter car les populations de Myzus persicae ont développé des résistances à cette famille chimique.
• 2 formes de jaunisses existent, causées par trois virus (BYV, BChV, BMYV)
• Le puceron vert Myzus persicae est le principal vecteur des trois virus.
• Le rendement dans les zones touchées diminue en moyenne de 28 %.
• Le seuil de risque se situe à 10 % de plantes colonisées par au moins un aptère vert.
• L’OAD Alerte pucerons donne l’aperçu le plus récent du risque jaunisse sur toute la France.
• Une vérification à la parcelle des populations de pucerons s’impose avant d’intervenir.
• L’ITB conseille pour 2020 les produits suivants : Teppeki (flonicamide) et Movento** (spirotétramate).
** si demande de dérogation accordée