À peine installé, en 2008, Jean Lefèvre se lance dans la culture du quinoa, une plante alors pratiquement inconnue sur le sol français. L’exploitation parentale située à Ognes, dans le sud de l’Oise, à la limite de la Seine-et-Marne, comprend 350 ha (dont 80 ha de betteraves) et emploie 2,5 salariés. D’un tempérament hyperactif, après un séjour de six mois en Australie et Nouvelle-Zélande et plusieurs années dans la grande distribution et le redressement de magasins, le jeune agriculteur souhaite développer une filière à haute valeur ajoutée. Aussi, quand une amie végétarienne se désole ne pas trouver de quinoa local, il décide de relever le défi. « Cette plante coûteuse, vouée à une demande croissante en vente directe et stockable répondait à mes objectifs », se souvient-il.
Reste qu’à l’époque, il n’existe aucune donnée technique sur le produit. Jean trouve des graines – très onéreuses – sur Internet, chez un multiplicateur de semences anciennes, du quinoa Red Head (tête rouge) qu’il cultive toujours. Chaque année il multiplie sa superficie par deux pour atteindre 5 ha en 2018. Ce pionner tente aussi la culture du French quinoa et du Cherry quinoa mais les abandonne pour cause de maturité tardive et difficulté de croissance. « Je préfère le Red Head. Il contient beaucoup de saponine : une fine pellicule au goût de savon qui entoure la graine. Cette matière éloigne les insectes et les maladies », apprécie-t-il. Un atout pour le planteur qui n’utilise aucun produit phytosanitaire pendant la culture. « Par contre, cette particularité oblige l’utilisateur à laver les graines deux fois pendant 5 minutes dans de l’eau chaude avant de l’employer en cuisine », prévient-il.
De la même famille que les betteraves
La première année, le nouvel installé sème les graines en utilisant le micro-granulateur du semoir à betteraves, avec une densité de 10 à 15 kg. Chaque graine donne une tige. Le quinoa, qui appartient comme la betterave à la famille des chénopodiacées ou celle des amaranthacées, se sème à la même période, avec des préparations de sol similaires. La graine semée en surface apprécie de petites pluies mais supporte mal le gel. Aujourd’hui, Jean utilise un semoir à céréales. Le plus compliqué s’avère le désherbage. « Cette campagne, par exemple, le gel a bloqué mon quinoa, qui s’est retrouvé infesté d’adventices », reconnaît l’agriculteur. Le désherbage se fait à la main, avec souvent de la main-d’œuvre extérieure. « Pour désherber trois hectares, nous avons passé une semaine à dix », calcule-t-il.
Pour la récolte aussi, l’adaptation reste de mise. Elle s’effectue avec une moissonneuse-batteuse entre le 15 septembre (comme en 2016) et … le 15 décembre (en 2017). La maturité varie selon l’azote disponible dans le sol, la luminosité et la somme des températures. Les rendements varient énormément. Jean vise une tonne par hectare de quinoa trié. Étant donné la variabilité, le planteur stocke beaucoup. Son objectif est de faire face à une année sans production. Les graines sont triées minutieusement. Une opération répétée jusqu’à huit fois, afin d’obtenir un quinoa très pur. Le quinoa est successivement trié, séché et stocké en big bag entre 10 et 15 degrés.
Sur les tables d’un restaurateur étoilé
Jean conditionne le quinoa en paquets de 250 g, 500 g et 1 kg. Le « quinoaculteur » commercialise autour de 4 tonnes par an, avec un objectif de prix de 20 à 30 €/kg. Il utilise trois circuits de vente directe : les plateformes Saveurs picardes et La ruche qui dit oui (dans l’Oise et la région parisienne), et Kelbongoo (trois magasins dans l’est parisien). Une partie est commercialisée via l’Intermarché local, le premier à avoir accepté les graines. Le betteravier est aussi très fier d’approvisionner les tables du restaurateur étoilé « Le Bec au cauchois » de Pierre Caillet à Valmont (Seine-Maritime), celles du « Saltimbanque » de Sébastien Porquet en baie de Somme et celles de nombreuses tables régionales. « Ils disent que mon quinoa claque sous la dent », se réjouit-il.
Le planteur ne craint pas la concurrence d’autres agriculteurs français. « Tous les ans une dizaine me rencontre pour en cultiver. Tous les ans, une autre dizaine arrête. C’est une plante compliquée à produire, avec des rendements très variables », insiste-t-il. Actuellement, les producteurs français se comptent sur les doigts d’une main. Le quinoa d’Anjou, commercialisé par la Coop agricole des Pays de la Loire (CAPL) estime fournir un tiers du marché français avec 2 000 tonnes. D’autres agriculteurs s’y essaient avec plus ou moins de bonheur.
Baisse d’intrants
En évolution constante, le créateur travaille sur du quinoa « prêt à consommer » en doypack, mais les investissements très élevés d’une chaîne de préparation pourraient bloquer le projet.
Jean Lefèvre est aussi pionnier en baisse d’intrants, avec 280 ha en MAE (mesure agroenvironnementale) et 70 ha en agriculture biologique. Il a obtenu le label HVE3 (haute valeur environnementale) pour toute sa ferme. Mais, selon lui, son influence reste limitée par manque de notoriété. Ses prochains défis : la lentille bio (avec Valfrance), le pois chiche, et même le chia, sans oublier la production de betteraves bio avec Tereos. Innovation, quand tu nous tiens…
Jean Lefèvre, Ognes (Oise)
SAU : 350 ha dont :
Blé : 140 ha
Betteraves : 80 ha
Colza : 60 ha
Agriculture biologique : 70 ha
Orge : 25 ha, maïs: 15 ha, triticale : 15 ha, sorgho : 1 ha, millet : 2 ha, luzerne : 2 ha