Les règles définies par l’arrêté sont motivées par un objectif d’absence de tout risque d’exposition des pollinisateurs aux néonicotinoïdes (NNI) résiduels dans les parcelles traitées. Ce sont donc les cultures qui développent des fleurs, productrices de nectar et/ou de pollen, et jugées attractives pour les abeilles domestiques, abeilles sauvages, ou bourdons, qui ont été considérées. Le rang en N+1 ou N+2, après betteraves traitées, des cultures autorisées repose sur le croisement de l’attractivité avec le taux résiduel de la matière active supposé dans la terre, qui se dégrade progressivement après l’application.

L’attractivité des cultures est multifactorielle

Les études antérieures et les références disponibles relatives au degré d’attractivité des cultures ne sont pas pléthoriques, elles sont même rares pour certaines cultures comme le lin ou la pomme de terre. Le caractère d’attractivité des cultures est une notion délicate à établir. L’attractivité combine la quantité, dans chaque fleur, des ressources nutritives pour les pollinisateurs, nectar et pollen, leurs qualités nutritionnelles (pauvres pour le pollen des céréales à paille, et lesquelles ne produisent pas de nectar), et leur accessibilité pour l’insecte (en particulier du nectar). Elle peut être différente selon le pollinisateur. L’activité réelle des insectes au champ est dépendante de facteurs environnementaux, comme la présence d’autres fleurs plus attractives dans des parcelles voisines, ou en bordure de champ ou, inversement, l’absence de ressources alternatives dans l’environnement du rucher.

Des études des instituts techniques

Pour apporter de nouveaux éléments au dossier, l’Institut technique de la betterave (ITB) et les instituts techniques Arvalis et Terres Inovia ont conduit des travaux, complémentaires d’études antérieures. Il s’agissait, d’une part, de mesurer les quantités de résidus de néonicotinoïdes dans les fleurs des cultures suivantes et, d’autre part, d’observer la fréquentation des cultures par les pollinisateurs dans un ensemble de parcelles autour de différents ruchers. Les études 2021 focalisaient sur les cultures les moins référencées, comme le lin ou la pomme de terre, mais portaient également sur les autres cultures, le maïs et le colza, pour lesquelles l’arrêté 2021 soumettait à l’Anses des propositions de mesures d’atténuation. Ces travaux n’ont cependant pas infléchi les conclusions qui prévalaient dans l’arrêté précédent de 2021. L’arrêté de 2022 reprend ces mêmes règles, et ne retient pas les mesures d’atténuation suggérées pour le maïs et pour le colza. Même pour les agriculteurs qui auraient appliqué ces mesures dès 2021 (préservation d’une bordure de 8 m en bordure de parcelle de betteraves traitées NNI avant un maïs, assortie de l’implantation de bandes mellifères à proximité), le semis de maïs en 2022 sur les parcelles en betteraves traitées NNI en 2021 reste interdit. La figure 1 reproduit la liste des cultures autorisées en campagne N+1 et N+2 après une campagne de betteraves l’année N. Les règles relatives aux couverts d’interculture appliquent les mêmes principes ; elles sont détaillées dans la suite de l’article.

Des conséquences non négligeables

Les effets de ces contraintes avaient été anticipés par les instituts techniques dès l’automne 2020, et des données factuelles avaient été présentées lors de l’instruction par l’Anses de la saisine qui a précédé la dérogation de 2021. Les graphiques 2 à 4 illustrent les fréquences des principales grandes cultures qui succèdent directement (N+1) à la betterave, ou qui reviennent en campagne suivante (N+2), et ce pour les années récentes antérieures à 2021. À une échelle régionale, on peut mesurer les surfaces en jeu, qui sont aussi une indication du nombre d’exploitations qui seront impactées. Même si les cultures concernées sont présentes dans toutes les régions, certaines ressortent particulièrement. En année suivant immédiatement la betterave, la culture de pomme de terre est très présente dans le Nord-Pas-de-Calais (figure 2) et la Normandie. Bien sûr, le maïs est très majoritaire dans le contexte alsacien. La densité de colza est importante en N+2 dans les départements de l’Aisne (figure 3) ou de l’Eure (35 %), dans une moindre mesure en Champagne crayeuse. Le lin est une culture privilégiée en N+2 dans les assolements normands (figure 4). Il est difficile d’appréhender les conséquences globales de ces règles, de même qu’il est difficile d’apporter un conseil sur les modifications d’assolement à prévoir pour repositionner ces cultures dans l’assolement, qui seront propres à chaque exploitation.

Des contraintes à bien appréhender pour les couverts d’interculture

L’arrêté indique qu’il faut « limiter l’implantation des cultures intermédiaires après la culture suivante à des cultures peu attractives pour les abeilles et les autres pollinisateurs conformément à l’annexe 2, ou éviter les floraisons, ou recourir à une destruction avant floraison ».

Dans le cas où les couverts viendraient à fleurir, les contraintes sur le choix des espèces sont donc les mêmes que celles mentionnées sur la figure 1. Par ailleurs, la campagne culturale se définit de manière générique « de la récolte du précédent (année N) à la récolte de la campagne en cours (année N+1) ». Pour des betteraves semées avec NNI en 2021, l’interculture à l’été 2021 est considérée en N+1; celle à l’été 2022 en N+2. Dans ce cas, il n’y a donc plus de contraintes sur la conduite des couverts, à partir de l’été 2023 (N+3).

Pour les intercultures en N+1 et N+2, il reste possible d’implanter des couverts contraints par l’annexe 2, uniquement si la floraison est évitée, ou que le couvert est détruit avant celle-ci.

Les solutions techniques à mobiliser pour la conduite des couverts d’interculture

Il est possible de jouer sur deux leviers pour éviter la floraison : le choix d’espèces et/ou de variétés tardives, et la réduction de la période de mise en place du couvert pour limiter la somme de température. Cette dernière option se confronte au cadre réglementaire des programmes d’actions régionaux pour les nitrates. Pour la plupart des régions betteravières, le couvert doit au moins être présent deux mois, et sa destruction ne doit pas être réalisée avant le 1er novembre. Les consignes peuvent varier selon les programmes d’actions régionaux, dans le cas notamment de situations spécifiques (teneur en argile élevée, semis tardif du couvert, zones d’actions renforcées…).

Concernant le choix du couvert, celui-ci peut se faire parmi des espèces qui, dans des conditions de semis relativement tardives (fin août, début septembre), ont peu de chances de fleurir avant la date de destruction réglementaire, comme la phacélie par exemple. Concernant les moutardes et radis nématicides, il convient de faire les bons choix.

Pour les moutardes nématicides les plus tardives, dans les essais conduits par l’ITB ces cinq dernières années, les floraisons ont débuté (avec moins de 3 % de plantes fleuries) au plus tôt autour des 1000 °.j. Pour les radis nématicides, plus tardifs que les moutardes, les floraisons (INF 3 %) ont débuté au-delà de 1200 °.j, à l’exception des variétés les plus précoces (Arena, Litinia). Le déclenchement des floraisons n’est pas uniquement lié à la somme de degrés jours : il peut dépendre aussi des durées des jours, de conditions particulièrement sèches etc. Il convient donc de conserver une marge de manœuvre. Le tableau 1 indique, pour quelques stations météorologiques, les sommes de degrés jours selon différentes durées de mises en place des couverts.

Dans tous les cas, les variétés de moutardes précoces ne seront pas adaptées, que ce soit en pur ou en mélange. Pour des dates de semis autour du 10/09, avec une destruction autour du 10/11, des variétés tardives de moutarde peuvent permettre de respecter les contraintes liées à la réglementation. Pour des dates de semis plus précoces, il semble préférable de s’orienter vers un autre choix d’espèces. Dans les situations indiquées, les semis de radis sont adaptés, mais pas pour des semis plus précoces (début août).

En anticipation d’une situation de floraison inopinée du couvert, il est judicieux de prendre contact avec la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de sa région pour voir les possibilités dérogatoires de destruction, avant la limite réglementaire.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Les cultures de la succession doivent respecter des listes positives des espèces autorisées. Ces contraintes vont impliquer des surfaces conséquentes et nécessiter des révisions d’assolement.

Concernant la conduite des couverts d’interculture, le choix des espèces est contraint uniquement si le couvert venait à fleurir. Il convient alors de trouver des solutions pour éviter sa floraison tout en respectant les contraintes réglementaires liées aux nitrates, voire d’avoir recours à une demande de dérogation auprès de la DDTM pour une destruction en cas de floraison inopinée.