Force est de constater que les prix du sucre dans l’Union européenne (UE) ont connu une volatilité plus marquée que les prix mondiaux, en tout cas en ce qui concerne les prix spots. Ces trois dernières années, ils ont oscillé entre des valeurs de plus de 1 000 €/tonne à moins de 500 €/tonne. Mais c’est moins le cas pour le sucre effectivement vendu par les opérateurs européens, car il fait l’objet d’une commercialisation avant que la production ne soit connue, qui ajoute encore à l’incertitude à venir, selon Gareth Forber.
Les raisons de la volatilité des prix du sucre
Les raisons de base de la volatilité sont évidemment la production, donc les rendements et les surfaces, mais aussi les volumes d’importation et la consommation.
En ce qui concerne les surfaces, lors de la campagne 2023-2024, la culture de la betterave en Europe était en déclin, principalement à cause de la faiblesse des prix du sucre et de l’augmentation des prix des cultures alternatives (blé, colza et maïs). Toutefois, l’augmentation des prix du sucre depuis 2023 a encouragé les agriculteurs à cultiver de la betterave, en hausse donc en 2024.
Un rendement dans la moyenne malgré les maladies
Le rendement moyen européen est annoncé dans la moyenne en 2024, malgré le développement de maladies comme la cercosporiose, le SBR (syndrome de basse richesse) en Allemagne, et la jaunisse.
Les importations préférentielles ont pesé sur les prix
Le marché européen du sucre reste très sensible aux importations préférentielles, en particulier celles en franchise de droits. Les importations en provenance des pays ACP-PMA (Afrique, Caraïbes et Pacifique) dans le cadre de l’accord dit « Tout sauf les armes » ont certes diminué ces dernières années (voir BF 1193 p 9), mais les concessions à l’Ukraine ont stimulé les importations de sucre. Toutefois, les importations ukrainiennes sont désormais contingentées, ce qui a, ou plutôt aura, pour la campagne à venir, un impact sur la disponibilité de sucre à bas prix pour l’UE.
Consommation en baisse
Pour Gareth Forber, la demande de sucre dans l’UE est affectée par des changements dans les habitudes alimentaires des consommateurs, après une nette reprise qui avait été observée post Covid. En outre, cette dernière année, les prix élevés du sucre et la crise ont amplifié la chute de la consommation.
Cette baisse de la demande, couplée à une offre relativement stable, crée un équilibre fragile sur le marché de l’UE. Les prévisions pour la campagne 2024-2025 suggèrent que l’offre et la demande seront quasiment équilibrées, avec une légère baisse des importations, qui devraient se limiter à environ 1,5 Mt. Parallèlement, si les exportations devaient augmenter pour atteindre 2 Mt, il est possible que les stocks se réduisent.
Prix 2025 : une inconnue amplifiée par le mode de commercialisation du sucre
Pour anticiper les prix l’an prochain, il est important de bien comprendre comment le sucre est vendu dans l’Union. Selon Gareth Forber, cela dépend certes du prix mondial, mais aussi des besoins d’importations de l’Union européenne. Si ces besoins peuvent être satisfaits par du sucre exonéré de droits de douane, une prime d’environ 200 €/tonne sur le sucre européen par rapport au sucre mondial peut être suffisante. En revanche, si l’UE doit recourir à des importations de sucre soumis à des droits de douane, cette prime grimpe entre 300 et 550 €/tonne, comme cela a été le cas par le passé (voir graphique).
Or, ce besoin en importation dépend de l’offre communautaire. Donc des rendements européens. Et la variabilité « naturelle » des rendements est de 0,5 à 1 tonne par hectare. Cette petite différence peut complètement changer les besoins en importation, car une différence de 0,5 t par hectare de rendement, c’est 800 000 tonnes de sucre d’écart à l’échelle communautaire – et à la fin, selon Gareth Forber, une variation de prix de 350 €/tonne pour toute l’Union européenne !
C’est là où réside la problématique, selon l’analyste. Car les ventes de sucres se négocient, par habitude, l’été précédant la campagne. À cette époque-là de l’année, les rendements ne sont pas connus, et les opérateurs sont donc contraints de négocier dans un flou total. C’est même, selon lui, une des raisons qui amplifie la volatilité au cours des dernières années. En tout cas, tant que l’on ne change pas le mode de commercialisation du sucre, il est extrêmement difficile d’anticiper un prix pour le sucre vendu lors de la campagne 2025-2026, c’est-à-dire celle produite par les betteraves qui seront semées en 2025 !
Vers une baisse de la superficie cultivée en 2025-2026 ?
Pour la campagne 2025-2026, Gareth Forber envisage une diminution de la superficie consacrée à la betterave, bien que les cultures alternatives offrent également des espoirs de revenus médiocres, ce qui pourrait limiter cette réduction. D’ailleurs, plusieurs industriels du sucre ont proposé des prix plus bas pour les betteraves, incitant certains agriculteurs à réduire leurs tonnages, par exemple au Royaume-Uni. Selon Gareth Forber, la diminution de la superficie cultivée pourrait être de l’ordre de 7 %, ce qui ramènerait la surface européenne de betteraves au niveau de la campagne 2023-2024.
Les points à surveiller
Plusieurs facteurs seront déterminants pour l’avenir du marché du sucre en Europe. Les industriels réussiront-ils à écouler suffisamment de sucre pour réduire les stocks avant les négociations de prix pour 2025 ? L’accès au marché européen, notamment de l’Ukraine et, plus tard, avec l’accord commercial UE-Mercosur, sera également un élément clé. Enfin, les risques sanitaires liés à la propagation du SBR pourraient avoir des conséquences sur les rendements dans les années à venir…
Point de vue de Timothé Masson, économiste à la CGB et secrétaire général du WABCG
La présentation de Gareth Forber met en lumière le besoin d’innovation dans le mode de commercialisation du sucre au sein de l’Union européenne. Dans le passé, la mise en place d’un marché à terme européen du sucre avait été envisagée, mais cela n’a pas abouti faute de mobilisation des intervenants. Cela ne devrait pas empêcher une réflexion sur les moyens à mettre en place pour limiter les risques sur les prix du sucre car, avec la baisse tendancielle des rendements et la hausse des coûts de production, les prix de la betterave pourront de moins en moins être une variable d’ajustement.