Avant de parler de l’Europe, arrêtons-nous un moment sur le marché mondial. Ou plutôt sur la monnaie brésilienne, en pleine tempête… Il faut désormais plus de 6 réals pour avoir un dollar alors qu’il en fallait moins de 5,5 en septembre dernier, et moins de 4,9 l’an dernier à la même époque. Cette débandade du réal face au dollar, qui vient aussi (et surtout !) de la force du dollar depuis l’élection de Trump, pèse sur les cours du sucre : ils sont libellés en dollars, mais majoritairement approvisionnés par des Brésiliens. Et pas qu’un peu : Sucden estime leurs parts de marché actuelles, sur le sucre brut, autour de 78 % : un record, boosté par les faibles surplus de ses concurrents.
La pression baissière est donc réelle, mais le sucre résiste tant qu’il peut : il reste au-dessus de 21 cts/lb sur le terme proche. Cela ressemble à une prouesse, d’autant que les spéculateurs, qui retrouvent un appétit pour les matières premières agricoles, tirent également le marché vers le bas avec des positions vendeuses-nettes de 1,5 Mt.
Et venons-en désormais à l’actualité du moment, la débandade européenne, enfin sous les radars de la Commission européenne. En effet, celle-ci vient de diffuser les prix du sucre en octobre dernier, soit le premier mois de la campagne en cours (2024-2025) : le sucre a quitté les usines, dans la zone incluant la France, à 609 €/t. En perdant plus de 150 €/t en un mois, il signe là un triste un record depuis la fin des quotas.
Les opérateurs s’y attendaient. On ne fait qu’assister, aujourd’hui, au résultat de négociations passées au printemps dernier, à une époque où les importations ukrainiennes étaient massives, et alors qu’on anticipait un bilan européen excédentaire du fait des hausses de surfaces. Il faut même s’attendre à une nouvelle baisse à venir, par exemple à partir de janvier prochain, pour arriver probablement autour de 500 €/t : les contrats sont déjà passés, et parfois depuis longtemps.
Quelle chute vertigineuse. Mais, soulignons-le : au-delà des fondamentaux, c’est aussi la commercialisation du sucre dans l’Union qui questionne.
L’analyste Global Data l’a rappelé, à Londres, lors de la conférence ISO/WABCG du 29 novembre dernier : le cadre de négociation du sucre dans l’Union européenne ne parvient pas à refléter les réalités du marché. Peu de personnes, dans la salle, étaient en mesure de comprendre pourquoi les opérateurs de l’Union continuent à négocier, à l’été, un prix fixe pour toute une campagne sucrière dont le rendement ne sera connu qu’à l’automne… Quand innovera-t-on ?
Le spot remonte
Car le niveau de prix actuel se basait sur un bilan pléthorique, anticipé à l’été en raison de la hausse des surfaces, qui semble désormais bien exagéré compte tenu des nouveaux équilibres. D’une part, les importations ukrainiennes vont être limitées à 260 000 tonnes (c’est toujours treize fois plus qu’avant la guerre !) au moins jusqu’à juin. Et, d’autre part, les rendements s’annoncent décevants : c’est le cas en France, mais aussi en Belgique et au Pays-Bas. L’Allemagne s’annonce meilleure, comme la Pologne : cela suffira-t-il à donner un surplus sucrier à l’Union ? Rien n’est moins sûr… La preuve : le prix spot, boosté par la force du dollar, montre des signes de reprise. Il a pris 50 €/t en deux mois, selon Standard and Poor’s, et dépasse déjà 500 €/t partout dans l’Union…
Au rythme où vont les choses, va-t-on assister, dans les mois à venir, à un prix spot qui dépasse le prix du sucre contractualisé, encourageant des opérations d’importation de sucre ? Ce serait un comble ! Il ne faudra, en tout cas, pas s’y tromper : cela ne viendra pas d’une faiblesse dans les équilibres européens, mais bien d’une faiblesse dans notre mode de commercialisation !