Fils, petit-fils et neveu d’agriculteurs, Matthieu Marisy a repris l’exploitation de son oncle et de son grand-père en 2015. Mais avant de s’installer, le jeune homme s’est d’abord lancé à l’assaut du monde. « Je voulais partir à l’étranger avant d’être bloqué sur mon exploitation », précise-t-il encore. Ce sont les États-Unis qui l’accueillent en premier. À Jamestown, dans le Dakota du Nord, il débarque dans une ferme de 15 000 hectares où l’on cultive le maïs, le blé et surtout le soja. Au bout d’un an, Matthieu revient en France, mais c’est pour mieux en repartir. Destination l’Australie. Sur la côte Est de l’île, entre Brisbane et Melbourne, il enchaîne les petits boulots pendant dix mois. « J’ai d’abord vendangé du raisin de table, puis fabriqué des sandwiches dans une chambre froide pendant l’Open d’Australie. J’ai travaillé ensuite dans une exploitation de pommes de terre, avant de terminer mon séjour par la récolte du coton. »

Introduction de la betterave

Il s’installe un an plus tard, riche de l’expérience emmagasinée. « Ça m’a ouvert l’esprit, confesse-t-il. J’ai compris qu’on ne pouvait pas rivaliser en termes de compétitivité. J’ai essayé le soja, mais je me suis pris trois gamelles de suite et j’ai arrêté. J’ai fait du maïs à la place. » Il prend aussi l’initiative d’introduire la culture de la betterave dans l’exploitation, sur les terres propices de la Champagne crayeuse. L’idée « d’avoir un revenu complémentaire et d’être moins soumis aux aléas du marché des céréales » va le conduire à pousser plus loin sa logique de diversification.

En 2019, avec ses deux cousins, Baptiste Dubois et Quentin Marisy, il se lance dans la méthanisation et crée la société MD Biogaz à Bar-sur-Seine, dans l’Aube. L’installation, riche de trois digesteurs, entre en service en 2021. Elle produit 28 GWh de biométhane par an à partir d’un cocktail constitué pour un tiers de pulpes de betterave, pour un tiers de Cive et pour un tiers d’intrants divers : pelures d’ognons, issues de silos, etc. Le méthaniseur vient bouleverser la vie de Matthieu Marisy. « Je ne passe plus qu’une journée par semaine sur l’exploitation. Je consacre cinq autres journées à la méthanisation. » L’agriculteur sous-traite la récolte et toutes les activités liées à la betterave, comme les semis.

Les trois cousins décident en 2023 de creuser encore plus profondément le sillon agro-industriel. Constat de départ : le biogaz produit certes du biométhane, mais aussi du CO2, beaucoup de CO2. 47 % pour être précis, un chiffre plutôt élevé dû à la quantité importante de végétaux enfournés dans les digesteurs. Jusqu’alors relâché dans l’atmosphère, ce gaz carbonique constitue une richesse inexploitée. C’est à cet effet que MD CO2, petite sœur de MD Biogaz, voit le jour. Après avoir investi 6,5 millions d’euros dans la méthanisation, les associés remettent 2 M€ sur la table pour construire une installation chargée de capter, de liquéfier, de purifier et de commercialiser le dioxyde de carbone. Entrée en service en avril 2024, elle a franchi la barre symbolique du premier millier de tonnes produites en septembre. MD CO2 vend la totalité de sa production – jusqu’à 4 000 tonnes par an – à l’entreprise meusienne L2Pi, société spécialisée dans la distribution de gaz alimentaire. Un contrat d’exclusivité d’une durée de dix années lie les deux partenaires. Le gaz carbonique sert ici à pousser et à refroidir la bière pression en tireuse.

Une première française

Mais le CO2 dit « biogénique » (car produit par les plantes) peut avoir une multitude de débouchés, que ce soit à des fins alimentaires, dans l’industrie des boissons notamment, ou dans d’autres activités. Et c’est là qu’intervient le troisième étage de la fusée mise sur orbite par Matthieu Marisy et ses deux cousins. MD CO2 a en effet inauguré en juin dernier un laboratoire, qui se veut le premier laboratoire français non industriel d’analyse de la qualité du gaz carbonique destiné au marché de l’alimentaire. Celui-ci est chargé de certifier que le CO2 produit en méthanisation possède bien les qualités requises pour être utilisé dans l’alimentation humaine. Les échantillons de gaz carbonique apportés par les autres méthaniseurs et possiblement certains industriels subissent à cet effet une batterie de tests chimiques. Il doit être pur à au moins 99 %. MD CO2 revendique pour sa part un taux de 99,99 %. Fin de l’aventure pour Matthieu Marisy ? Que nenni. Celui-ci « envisage de reprendre l’exploitation de (son) père » qui partira prochainement à la retraite. Soit 180 ha qui viendront s’additionner aux 80 ha que possède déjà l’agriculteur aubois, à l’unité de méthanisation, à l’outil de production de CO2 et au laboratoire d’analyse, dont il partage la paternité avec ses deux compères.