La vie de l’animal est-elle sacrée ? C’est le débat du jour, celui qui enflamme les esprits et agite l’opinion. Pour les antispécistes, il n’y a aucune différence entre l’homme et l’animal et donc tuer un animal est un crime. Sur le plateau de l’émission « 28 minutes » , sur Arte, Jean Quatremer (Libération) donnait le ton : « chasser, c’est apprendre à tuer. » On en déduit que, pour lui, une perdrix et un être humain c’est du pareil au même… Si on suit cette logique, plus de bouchers, plus de poissonniers, plus de charcutiers. Il faut changer de régime. Cette sacralisation n’est pas défendue par les pouvoirs publics. Pour des raisons économiques évidentes mais aussi par la nécessité de rétablir dans la nature des équilibres indispensables. On le voit, par exemple, dans la gestion des populations de sangliers qui sont devenues incontrôlables et dans celle des cervidés. L’Office national des forêt (ONF) a demandé récemment aux chasseurs d’être plus raisonnables, c’est-à-dire d’augmenter leurs prélèvements dans les forêts domaniales (Voir Le Betteravier du 20/07/2024)
Mais les organisations écologiques (Sépanso, LPO, Aspas, Ferus etc) prospèrent sur une ligne dure, qui est celle du respect absolu de la vie animale. Nous l’avons dit maintes fois dans ces colonnes, nous parlons des écologistes européens en général et français en particulier. Les Américains, les Canadiens et les Québécois n’ont pas la même approche. Ils gèrent la nature du mieux possible et si, pour respecter les équilibres, il faut abattre des animaux, ils le font sans état d’âme. Au Yellowstone, parc américain emblématique, quand, en 2023, les populations de bisons ont explosé, les gestionnaires ont autorisé les chasseurs indiens qui opèrent à la périphérie à en prélever 1 100. En 2021, on avait éliminé 12 bisons dans le parc du grand Canyon.
En France, c’est différent. La régulation du ragondin, du sanglier, des corneilles, des renards, de la grande bernache du Canada et même celle du rat en ville soulève des protestations. Le « plan loup » suscite lui aussi une vive critique des associations spécialisées. Elles considèrent que la nature est reine, que l’homme ne doit pas intervenir et qu’il faut laisser les équilibres s’instaurer spontanément.
L’affaire est aussi politique. Les partis prennent position. À droite, on est généralement pour la régulation et la chasse, les socialistes balancent, les écologistes y sont farouchement opposés et les communistes tout à fait favorables. Il y a une tradition « pro chasse » au PC qui la considère comme un loisir populaire. Georges Marchais – pour ceux qui s’en souviennent – était un ardent chasseur de lapins ! Tout récemment, l’Humanité, le quotidien du parti, titrait : « Préserver la nature implique aussi de réguler la faune sauvage ».
« Nous leur demandons de revenir »
Compte tenu de cet état d’esprit, confier la gestion d’une réserve à une association écologique comporte-t-il des risques pour la biodiversité ?
Nous avons un exemple récent. La Sepanso (une fédération d’associations écologiques) est responsable de la Réserve du Banc d’Arguin (plus de 4 000 ha). Située en Gironde, à l’entrée du Bassin d’Arcachon, elle a été créée en 1972, notamment pour protéger l’immense colonie de sternes caugeks, un gracieux laridé *, qui chaque année venait y nicher. Quatre mille couples ! La plus grande colonie d’Europe. Un joyau ornithologique. Tout se passa bien au début mais, en 2019, quelques goélands et un ou deux couples de milans noirs commencèrent à attaquer les œufs et les poussins. Résilientes, les sternes tentèrent de nicher … à quinze reprises ! On avait donc tout le temps d’éliminer la poignée de coupables, mais la Sepanso refusa. De guerre lasse, la colonie déserta le site. Cette curiosité ornithologique remarquable qui attirait des visiteurs de partout disparut du jour au lendemain. La réserve n’abrite plus aujourd’hui qu’une bande de courlis cendrés, des goélands et des huîtriers pie. Ce qui faisait sa magie a disparu. Dans l’indifférence totale des gestionnaires.
Pourtant 8 000 oiseaux en moins, cela fait un sacré vide ! Voulant comprendre, je me suis rendu cet été sur le banc d’Arguin.
La réserve était, ce jour-là, gardée par une jeune femme, une bénévole. Comme je déplorais le laisser faire qui conduisit à la disparition de 8 000 sternes, elle me dit avec fierté : « pour nous l’animal est sacré. Nous n’intervenons pas ». Elle me précisa qu’elle était même opposée à la régulation des sangliers et que « la nature se débrouillait très bien sans l’homme ». Et elle conclut notre entretien sur le sable par ces mots lunaires : « mais nous attendons les sternes, nous leur demandons de revenir… ». Oui, vous avez bien lu : « nous leur demandons de revenir ».
En 2024, elles n’étaient toujours pas là. Sourdes, probablement…
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* La famille des laridés regroupe les mouettes, les goélands et les sternes.