Les agriculteurs français seraient-ils prêts à accepter de l’argent contre l’importation de produits sud-américains ne respectant pas les mêmes normes que celles auxquelles ils sont soumis ? Voici le deal bien étrange que proposerait la Commission européenne pour faire avaler la pilule amère du Mercosur, et débloquer ainsi un accord en négociation depuis près de 30 ans. Il pourrait être signé lors de la réunion du G20 à Rio, les 18 et 19 novembre prochains.
« Cela ne peut être perçu que comme une provocation ! Un chèque de compensation ne résout pas les problèmes de cet accord commercial », préviennent dans un communiqué commun du 22 octobre les organisations et coopératives agricoles de l’UE (Copa-Cogeca), les producteurs de sucre (CEFS, CIBE), de volaille (EUWEP) et de maïs (CEPM).
On peut aussi voir cette proposition comme un aveu que cet accord occasionnera des dommages à l’agriculture européenne !
L’accord « ouvrirait la porte à 99 000 tonnes de viandes bovines, à 180 000 tonnes de viandes de volaille, à l’équivalent de 3,4 millions de tonnes de maïs, à 180 000 tonnes de sucre », alertent la FNSEA et les JA avec les associations spécialisées en bovins, betteraves (CGB), lait, maïs et aviculture.
Quel effet sur la filière betterave ?
La CGB a décortiqué l’accord actuel qui inclut les concessions suivantes pour le sucre :
– Élimination des droits CXL (actuellement à 98 €/t) de 180 000 t du quota spécifique au Brésil, concernant le sucre brut à des fins de raffinage ;
– Nouveau contingent de 10 000 t de sucre brut à des fins de raffinage, sans droits de douane, du Paraguay exclusivement.
Pour l’éthanol, les concessions seront progressives dans le temps (six étapes annuelles égales) :
– 450 000 t d’éthanol (environ 5,7 Mhl) sans droit de douane, à utilisation exclusivement industrielle ;
– 200 000 t d’éthanol (environ 2,5 Mhl) à droits réduits au tiers de la valeur, pour tout usage, y compris carburant.
Les volumes de sucre ne seront pas importés en France, mais par des pays déficitaires (Espagne, Portugal, Italie) historiquement alimentés par la France. Avec le Mercosur, ce marché sera diminué de 190 000 t : c’est l’équivalent de la production d’une usine française !
Le cadeau de 8,2 Mhl d’éthanol à droit réduit ou nul, « est véritablement énorme, selon Timothé Masson, économiste à la CGB : cela représente, pour l’UE-27, environ 15 % de la production communautaire, ou l’équivalent de ce que produit la France à partir de ses betteraves ». Et d’ajouter : « ces deux concessions cumulées (sucre et éthanol) accordées par l’Union européenne représentent la production de 1/8ème des surfaces françaises de betteraves. »
Cet accord, dont le mandat a été donné à la Commission européenne il y a trente ans, n’inclut aucune clause relative au mode de production (les fameuses « clauses miroir »), et notamment :
– Aucun encadrement sur les produits phytosanitaires utilisés pour produire la canne à sucre au Brésil. Actuellement, au moins 40 substances actives sont autorisées au Brésil, mais interdites dans l’Union.
– Aucune demande de traçabilité relative aux OGM, alors que le Brésil autorise, depuis 2017, la culture de canne transgénique.
– Aucun encadrement sur le droit social dans les plantations de canne. Timothé Masson rappelle que « moins du tiers des surfaces brésiliennes de canne à sucre est cultivé par des planteurs indépendants, les deux-tiers étant cultivé par des groupes industriels. Les concessions de volumes ne sont donc pas faites majoritairement au profit d’agriculteurs brésiliens, mais au profit de groupes industriels. »
Le gouvernement français est bien conscient du danger. Mais la pression est de plus en plus forte sur la France, seul grand pays qui ne veut pas signer « en l’état ». L’Allemagne, l’Espagne et l’Italie sont impatients de voir ouvrir des débouchés pour leurs produits industriels.