L’agronome Sylvain Trommenschlager aime provoquer et remettre en cause les pratiques agricoles. Face au développement des adventices, il conseille de s’interroger sur les pratiques agronomiques. Il se base sur ses observations. La première : le vulpin, notamment en semis direct, prospère dans des terrains où la matière organique a du mal à évoluer. Selon lui, une trop grande présence de paille au champ ou une mauvaise décomposition favorise le vulpin. L’export de paille apparaît alors parfois une solution pour limiter le vulpin dans les parcelles très infestées.
Autre constat : la présence de plus en plus fréquente des amarantes (retroflexus, albus et hybridus) en zone betteravière. Un déficit d’azote et un excès de matière organique lignifiée les favoriseraient. De même, les morelles progressent. L’excès de nitrate privilégierait les renouées et le liseron, selon l’agronome. Ces adventices assimilent les nitrites (NO2-) que le blé ne peut pas assimiler. Quant au datura, il apprécie l’excès de sodium et de matière organique.
Plaidoyer pour le respect des argiles
Le ray-grass se développe dans les terrains avec des pertes d’argile et un engorgement de matière organique, constate-t-il. Certaines pratiques comme le travail du sol à grande vitesse et l’utilisation d’outils à disque indépendants favorisent l’éclatement des argiles. « Au-delà de 5 km/h, l’argile est abîmée », explique Sylvain Trommenschlager. L’énergie transmise au sol est proportionnelle à la vitesse, comme le montre la célèbre formule e= ½ m v2 (m étant la masse et v la vitesse). À 5 km/h, l’énergie cinétique atteint 12,5 fois la masse utilisée pour travailler le sol. À 10 km/h, elle atteint 50 fois la masse, soit quatre fois plus ! En outre, la perte d’argile peut créer des semelles de labours.
Les apports de magnésium ou de dolomie peuvent aider la floculation des argiles. Ils participent à limiter les ray-grass. « Il faut créer un milieu hostile pour sortir de la logique invasive des adventices et pouvoir revenir à une efficacité des herbicides » insiste l’agronome. La réflexion sur la fréquence, la profondeur et l’intensité du travail du sol est primordiale, de même que celle sur les apports minéraux.
Apporter du calcium
Autre facteur favorisant la perte d’argile : l’ajout de sodium, souvent apporté avec les engrais. Cet élément déflocule les argiles. Si la concentration en sodium dépasse les 5 ppm, il est temps d’intervenir. Si elle dépasse les 10 ppm, c’est inquiétant. L’apport de gypse peut réguler les bases. Le thiosulfate de calcium a aussi un intérêt.
Bien sûr, l’ajout de calcaire permet d’alléger les sols et favorise la floculation des argiles. Il ne faut pas raisonner les apports de calcium uniquement en fonction du pH. Le calcaire cru ne fait pas nécessairement monter le pH, rappelle le spécialiste. En semis direct, il faut une tonne de calcium (et non de chaux) pour 10 % d’argile en entretien annuel. L’azote a un effet sur la décalcification des premiers horizons.
Attention toutefois, trop de calcaire bloque le phosphore. Mais en cas de très grande infestation de vulpin en semis direct, l’agronome haut-marnais n’hésite pas à proposer un taux de calcaire de 20 % sur les deux premiers centimètres. Cela reconcentre les argiles.
L’expert préconise d’apporter le calcaire sur colza, maïs ou orge. Avant les blés, les apports de calcaire favorisent le piétin échaudage.
L’apport de vinasse de betteraves est aussi intéressant. Elle aide la minéralisation des composts qui évoluent mal.
Agir très localement
L’agronome propose de cibler les problématiques et d’agir sur les endroits infestés. « Les agriculteurs doivent éviter de se retrouver comme ce planteur qui a retourné ses betteraves. L’infestation en ray-grass, dans une rotation blé/lin/pommes de terre/betteraves n’avait pas permis une bonne levée », prévient-il. Ils doivent veiller à l’état structural des sols avec de fréquents apports de matière organique de bonne qualité.
Jouer sur l’assolement reste une possibilité efficace pour gérer le salissement du ray-grass et du vulpin. L’implantation d’orge très tôt, par exemple, a un effet très étouffant sur ces adventices.
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Intervention réalisée dans le cadre de l’Agroforum 2024 organisé par la coopérative Agora.