L’idéal, c’est d’anticiper entre 3 et 5 ans avant l’arrêt de l’activité. Cela permet d’avoir le temps de la réflexion », affirme Frédérique Millot, responsable d’équipe stratégie d’entreprise à la chambre d’Agriculture d’Île-de-France. En effet, le départ à la retraite d’un agriculteur et la transmission de sa ferme cumulent beaucoup de problématiques et d’enjeux. Si l’opération n’est pas anticipée, elle ne pourra pas être optimisée.

Anticiper son projet et son organisation patrimoniale

Selon Frédérique Millot, il y a d’abord une réflexion à mener sur le projet. Que ce soit sur le choix du repreneur ou sur le type de vie que l’agriculteur veut mener après sa retraite. Au niveau de la cession, il faut se poser les questions suivantes. « Est-ce que je ne transmets que l’outil de production et je garde le foncier, ou est-ce que je transmets le tout ? Est-ce qu’un de mes enfants veut reprendre ? Si la transmission se fait à son bénéfice, est-ce que je vends, est-ce que je donne, est-ce que je choisis une solution mixte ? ». Attention, à partir du moment où il y a une donation, il faut l’intégrer dans une réflexion patrimoniale et familiale s’il y a d’autres enfants, prévient-elle. En effet, le risque étant de créer un sentiment d’inégalité qui se réveillera au moment de la succession des parents. L’anticipation est donc nécessaire à la paix dans la famille.

« L’anticipation est aussi de mise quand on cède à un tiers, explique-t-elle. Il faut trouver un repreneur qui convienne au cédant. Mais attention, « il faut anticiper sans alarmer toute la plaine. Plus l’agriculteur en parle ouvertement trop tôt, plus ses voisins vont lui faire du charme… ».

Anticiper l’organisation juridique

« Même très en amont de la retraite, il faut intégrer la perspective de la transmission » explique Hervé Vandierendonck, le responsable du marché de l’agriculture du Crédit Agricole Brie Picardie. Aux moments clés de l’exploitation comme les diversifications, les agrandissements ou encore les investissements en production d’énergie, une réflexion sur la structuration juridique de l’exploitation est à mener. « Le choix des bons outils juridiques peut compartimenter les activités, et donc faciliter la vision économique des projets, mais aussi la transmission à terme » précise-t-il.

« Toutefois lors de la construction du montage juridique, si le ou les exploitants créent une holding dont le seul objectif est de s’évader de l’impôt par le passage à l’impôt sur les sociétés (IS), le fisc risque d’interroger la pertinence du montage », prévient-il. Si cette holding intègre des enfants dans un but de transmission, cela a plus de sens aux yeux de l’État.

Par ailleurs, quand la cession se fait au bénéfice d’un tiers, il faut que le cédant s’assure des promesses de baux, explique Frédérique Millot. En effet, le bail rural classique n’est pas cessible hors du cadre familial. Peut-être que certains des propriétaires voudront récupérer leur bien pour le transmettre à un descendant qui pourrait les exploiter, ou pour les vendre au prix de la terre libre. « La valeur de l’exploitation dépendra en grande partie de ces promesses de baux », précise-t-elle.

Il faut donc que le repreneur sache à quoi s’en tenir. « Pour cela, il faut contacter l’ensemble des propriétaires. Mais attention, le cédant ne les connaît pas toujours. Ils peuvent, par exemple, être décédés et avoir légué leurs terres à leurs enfants en indivision », explique-t-elle. Le cédant ne doit pas non plus se limiter aux personnes à qui il envoie les loyers car le propriétaire n’est pas forcément celui qui le reçoit. « En cas de doute, il faut aller en mairie demander la matrice cadastrale qui mentionne tous les propriétaires avec leur adresse (connus de l’administration fiscale), qu’ils soient usufruitiers, nus-propriétaires ou pleins propriétaires », affirme-t-elle en précisant que le relevé parcellaire de la MSA n’est pas forcément toujours à jour.

Il y a aussi un travail à faire sur l’évaluation de l’exploitation, et notamment des bâtiments. « Appartiennent-ils au propriétaire de la parcelle ou à l’exploitation, donc indirectement à l’exploitant ? Et est-ce que ce dernier est en entreprise individuelle ou en société ? S’il est en entreprise individuelle et qu’il a construit un bâtiment sur une parcelle qui ne lui appartient pas, il faut clarifier la valeur et l’avenir du bâtiment ».

Par ailleurs, il ne faut pas oublier le dossier MSA pour ne pas toucher sa retraite avec un an de retard. Frédérique Millot conseille aux agriculteurs d’anticiper leur déclaration : « un an avant le jour J, il faut constituer son dossier MSA, 6 mois avant le départ, il faut la prévenir ».

Anticiper la fiscalité

Enfin, il faut que le cédant fasse un point avec son conseiller de gestion ou son juriste pour anticiper la fiscalité des plus-values, explique l’experte en stratégie d’entreprise. Quel est le meilleur schéma à mettre en place pour limiter au maximum cette taxation, en fonction de chaque situation ? « L’anticipation est très importante pour pouvoir mettre en place les différentes solutions existantes, comme la modification de la durée des exercices par exemple ».

De plus, indépendamment des aspects patrimoniaux, juridiques et fiscaux, Hervé Vandierendonck conseille aux cédants d’apurer progressivement en amont leurs comptes courants d’associés. Cela permet d’éviter un alourdissement du plan de financement pour le repreneur au moment de la cession.

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Hervé Vandierendonck conseille aux cédants d’apurer progressivement en amont leurs comptes courants d’associés. ©SEDA
L’épineux problème de la valorisation de la reprise

Le droit qui encadre le statut du bail rural entraîne le paradoxe suivant : d’une part, le fermier est particulièrement protégé, ce qui donne une valeur à son bail. Mais, d’autre part, « le droit au bail ne peut pas être valorisé financièrement car il est incessible en dehors de l’univers familial, sauf dans le cas spécifique du bail cessible », explique Frédérique Millot. Comment donc transmettre un bien qui ne peut pas avoir de valeur monétaire ? Il est de coutume d’habiller la valeur de ce droit au bail, explique-t-elle. Mais le matériel, les droits à paiment de base (DPB) et l’amélioration de fond sont souvent inférieurs à la valeur du prix convenu entre le cédant et le repreneur. « Et cela pose un vrai problème car si les montants ne sont pas cohérents, le cédant prend le risque d’être attaqué par la suite par le repreneur au titre de « répétition de l’indu » ». La situation actuelle, héritée du droit rural, crée donc une situation d’insécurité et d’incertitude.

Depuis 2006, il est possible d’opter pour le bail cessible. Cependant, cette option n’est possible que pour les cédants qui sont propriétaires de leur foncier, ou pour ceux qui détiennent déjà un bail cessible.

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©Renaud d’Hardivilliers

« Mettre en place un accompagnement dans toutes les régions »

Point de Vue de Julien Rouger, Vice-président des Jeunes Agriculteurs

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« Aujourd’hui, s’il existe des points accueil installation (PAI) sur l’ensemble du territoire, toutes les régions ne sont pas équipées d’un point accueil transmission (PAT). Les régions ont des organisations différentes : par exemple, dans certaines, il n’y a quasiment rien et dans d’autres, comme les Hauts-de-France, il y a des PAIT (point accueil installation transmission) qui font les deux. Nous souhaitons mettre en place un guichet unique dans toutes les régions.

Puis, dans l’esprit de ce que l’on peut avoir au niveau de l’installation (CE3P), nous voulons mettre en place un dispositif d’accompagnement pour les cédants. L’idée est de leur proposer quelque chose de structuré, avec un diagnostic à 360° de l’exploitation. Aujourd’hui, nous avons plusieurs entités qui proposent ce service mais qui sont, pour la plupart, de nature privée, et rarement coordonnées avec l’ensemble des acteurs. Nous souhaiterions créer ce service avec France Service Agriculture qui serait un guichet unique pour ceux qui veulent rentrer et sortir du métier d’agriculteur. Cette mesure était présente dans la loi d’orientation agricole (LOA) qui a été votée à l’Assemblée nationale et qui était en discussion au Sénat au moment de la dissolution de juin dernier.

Par ailleurs, nous portons une proposition de crédit d’impôt pour inciter les cédants à se faire accompagner et à anticiper leur transmission. Pour nous, c’est vraiment un point central ».

Agenda : 9e édition de la Quinzaine de la transmission-reprise

Comme chaque année depuis 9 ans, Chambre d’agriculture France organise la Quinzaine de la transmission-reprise. Du 15 au 29 novembre 2024, plus de 100 évènements répartis dans toute la France auront pour objectif de sensibiliser au sujet de la transmission et faire se rencontrer les cédants et les repreneurs. Plus d’informations sur le site de chambre d’Agriculture France ou sur celui de la chambre de votre département.