Si le consensus semble clair pour développer l’énergie verte à l’échelle de la société, force est de constater que l’acceptabilité locale n’est pas toujours au rendez-vous. Lorsque les projets se matérialisent, les agriculteurs font parfois face à de longues batailles judiciaires contre des riverains ou des élus locaux. C’est ce qui est arrivé à Antoine Chédru, de la Ferme des Peupliers à Flipou dans l’Eure, dont le projet de méthanisation est bloqué. Cette ferme est pourtant bien connue des habitants de la région, puisqu’elle commercialise des yaourts ultra frais issus d’un élevage de 230 vaches.
C’est le défi de l’acceptabilité locale qui a donné l’idée au Conseil départemental de l’Eure de lancer la première édition de Fertiles. Cet évènement a réuni plus de 500 personnes : des agriculteurs, des professionnels et des représentants les différentes filières pour engager un dialogue constructif sur l’avenir des énergies vertes en agriculture, et plus particulièrement la méthanisation et le photovoltaïsme. « Il faut de vrais espaces de discussion, où on peut débattre sereinement, a déclaré le président du Conseil départemental de l’Eure, Alexandre Rassaërt. Lorsqu’on est dans la posture idéologique, on s’enferme dans un rapport polémique et pas dans l’apport de solutions concrètes, opérationnelles, pour réellement changer les choses. »
Souveraineté alimentaire et énergétique : la confrontation est-elle inévitable ?
Des complémentarités existent a expliqué Kristell Guizouarn, directrice des affaires publiques, de la RSE et de la communication de Tereos, qui a rappelé que la filière betteraves produit à la fois du sucre, de l’alcool, du bioéthanol et de la pulpe. « La souveraineté agricole rassemble toute la complexité et elle est menacée par les décisions politiques, par exemple sur les moyens de production. Le vrai point de vigilance est de garder une production de biomasse locale. »
« Pour l’agrivoltaïsme, les zones artificielles – les parkings, les toits – sont une priorité, a déclaré Olivier Dauger, agriculteur dans l’Aisne et co-président de France Gaz Renouvelables et de France Agrivoltaïsme. Évidemment l’alimentaire reste toujours prioritaire, mais aujourd’hui il est déclassé par le marché en termes de compétitivité (on le voit avec la décision de Lactalis de baisser la collecte de lait) et non parce que les agriculteurs développent des énergies vertes sur leurs parcelles. »
Énergie verte agricole : comment surmonter le défi de l’acceptabilité locale ?
« Pour contrer le syndrome Nimby (Not In My BackYard), une attitude qui consiste à soutenir un projet mais pourvu qu’il se fasse ailleurs, il faut dépasser le cadre consultatif et réglementaire pour engager les acteurs dans le projet, idéalement par la co-construction, a expliqué Léa Sévère, consultante en concertation et communication publique. Votre projet peut être techniquement parfait, mais si les voisins n’y adhérent pas, cela va mal se passer. »
« Les énergies renouvelables ont pourtant une bonne image dans l’opinion publique, a noté Jérôme Mousset, directeur Bioéconomie et énergies renouvelables à l’Ademe. C’est souvent la question du paysage qui fait débat, comme avec les éoliennes qui ont un impact sur le prix de l’immobilier. »
« Les énergies renouvelables en agriculture – méthanisation, éolienne, photovoltaïque – en tant que Français je suis pour, en tant que voisin je suis contre, a résumé Nathalie Rastoin, présidente de l’agence de communication Polytane. Les néoruraux recherchent un cadre de vie, les agriculteurs un cadre de production. L’image du porteur du projet est plus importante que le projet lui-même ! »
L’innovation agricole, clé de voûte des transitions vertes
« On est obligés d’innover à marche forcée, on a une obligation de résultat pour trouver les solutions au dérèglement climatique », a résumé Sébastien Windsor, président de Chambres d’agriculture France. Problème : l’état d’esprit n’est pas très favorable à l’innovation. « Au Brésil, le principe de précaution n’est pas utilisé pour interdire les innovations », a expliqué Caroline Rayol, spécialiste de l’agro-industrie en Amérique latine. Alain Thibault, Fondateur et CEO Agriodor, qui développe des solutions de biocontrôle alternatives aux insecticides basées sur les parfums, peut en témoigner : « au Brésil, les nouveaux produits peuvent être homologués en 18 mois, contre 10 ans chez nous. Méfiez-vous : dans 10 ans, le Brésil sera au top du biocontrôle et l’Europe aura perdu la bataille des pesticides ».
« Les agriculteurs ne comprennent plus ce que veut la société, constate le philosophe Gaspard Koenig, auteur du roman Humus (prix Interallié en 2023). Normes absurdes, direction pas claire, on a tous compris leur message avec les panneaux des communes retournés pour dire « on marche sur la tête ». Cette absence de cap clair est d’autant plus dommage que les agriculteurs sont la population la moins conservatrice du monde, ils sont habitués à évoluer, à s’adapter. »