Casque sur la tête, Matthieu Lenglet montre avec fierté les constructions en cours sur le site d’Ecofrost. Sur l’ancienne friche industrielle de Flodor à Péronne, les bâtiments de la future usine de frites surgelées sortent de terre. « Dès 2025, nous ouvrirons deux lignes de fabrication, une de frites surgelées et une autre de spécialités (croquettes, pommes dauphine…). Deux autres suivront dès 2028, ainsi qu’un entrepôt entièrement automatisé (35 000 palettes) » dévoile cet agriculteur, cofondateur d’Ecofrost Péronne. De quoi transformer 400 000 t de pommes de terre produites par 650 producteurs.

Entrepreneur dans l’âme, une pomme de terre dans le ventre, comme se définit Matthieu Lenglet. Ses études d’ingénieur agricole terminées, il reprend une ferme en 2008, puis s’associe avec son épouse et ses parents agriculteurs à Blangy-Tronville, près d’Amiens. À peine installé, il se lance dans la pomme de terre de conservation. Passionné, il en fait même la culture principale de l’exploitation familiale avec 60 % de la sole. Les 40 % restants se partageant à égalité entre la betterave sucrière et le blé. Pour ce faire, il met en place un système d’échange avec des voisins.

Créateur de valeur ajoutée

« Mon obsession est de créer de la valeur ajoutée », explique ce jeune chef d’entreprise. Il construit peu à peu des installations de stockage (14 000 t aujourd’hui). La main-d’œuvre passe à cinq salariés, sans compter les saisonniers au moment de la plantation et de la récolte. Innovateur, il veut créer une ligne de transformation de frites surgelées à la ferme. « Mais je trouvais difficilement la viabilité économique du projet. Le capital nécessaire à l’investissement reste trop élevé pour un agriculteur seul », constate-t-il. La suite, c’est une histoire d’hommes, d’opportunités saisies et de persévérance.

Seul actionnaire français dans la frite surgelée

Apprenant par son négociant belge la volonté du groupe Ecofrost de monter une ligne de production de frites surgelées en France, il rencontre les dirigeants. « Le projet des familles Vervaeck, issue du négoce des pommes de terre et Hoflack, travaillant dans la congélation de légumes, rejoignait le mien. J’ai très vite sympathisé avec eux, notamment la jeune génération Hoflack, quadragénaires comme moi et très motivés », confie Matthieu Lenglet.

Les Belges cherchaient un associé Français pour mieux s’intégrer dans le tissu économique local. Ils voulaient s’installer au cœur du bassin de production de pommes de terre du Santerre et s’adapter à l’écosystème. « J’ai saisi l’opportunité. Je pense que je suis le seul Français actionnaire dans une usine de production de frites surgelées », observe-t-il.

Participer au développement du territoire

Rapidement, l’ex-site de production de Flodor apparaît comme une bonne solution pour l’équipe de créateurs. « Cela a du sens de retransformer des pommes de terre sur cet ancien site de fabrication de chips. Sa fermeture a été vécue comme un vrai drame dans la région », avoue Matthieu Lenglet. Ce projet converge aussi vers les objectifs nationaux de réindustrialisation, souveraineté et résilience agroalimentaire. Il s’agit également de diminuer l’impact environnemental en produisant sur place.

« Les acteurs locaux nous ont beaucoup aidés, reconnaît l’agriculteur. La sous-préfecture pour les autorisations, la communauté de communes pour la dépollution du site. Au-delà du projet, je réalise des rencontres très enrichissantes », affirme-t-il. Et de désigner Orlando Verplanke, responsable de la construction de l’usine, qui a déjà participé au montage de celles de McCain et d’Avisto. « Il y a trente ans, nous montions des lignes de fabrication de frites produisant 10 t/heure, avec 10 personnes. Aujourd’hui, une ligne produit 30 t/h et fonctionne avec une personne. L’automatisation s’accélère. Tout comme le niveau des opérateurs, techniciens de maintenance », dévoile-t-il.

C’est valorisant d’avancer

Nommé directeur délégué de la SAS Ecofrost Péronne, Matthieu Lenglet participe aux décisions des choix stratégiques du site. « J’apporte ma touche agricole, notamment pour la production et les relations agriculteurs. Nous avons beaucoup d’appels de producteurs. Le nerf de la guerre reste les prix rénumérateurs avec une transparence dans les échanges. Je serais vraiment heureux d’arriver à un partenariat fort et durable entre les producteurs et l’usine ».

Autre motivation pour ce père de trois enfants, l’atmosphère familiale de la gestion de cette PME. « Je souhaite garder l’esprit d’entreprise et de travail développée par les Belges avec nos futurs salariés (150 prévus dès 2025) ». Sur son exploitation, plusieurs apprentis sont restés. « C’est toujours une fierté », s’enthousiasme-t-il. Il aimerait aussi que ce projet serve de catalyseur en créant des opportunités pour des agriculteurs et pour d’autres professions, dans la filière pommes de terre (comme celle du plant) ou industrielle. Car le partage du bonheur d’entreprendre fait aussi partie intégrante de sa satisfaction.