L’ambiance est très morose chez les céréaliers », affirme Philippe Heusèle, agriculteur et secrétaire général de l’AGPB, association générale des producteurs de blé et autres céréales. Huit ans après 2016, les céréaliers ont vécu une nouvelle moisson catastrophique. En effet, selon les estimations du ministère de l’agriculture (Agreste) en date du 9 août, le rendement moyen de blé français est de 62,4 q/ha, en recul de 15,5 % par rapport à celui de 2023 et de 14,5 % par rapport à la moyenne 2019-2023. Un chiffre qui devrait redescendre encore un peu avec les données complètes, estime l’agriculteur. Ce rendement reste supérieur à celui de 2016 (53,7q/ha), mais, si on élude cette triste année, il faut remonter au moins jusqu’en 1987 pour retrouver un rendement moyen plus faible. Toute la France est touchée, à l’exception du pourtour méditerranéen qui connaît une hausse du rendement par rapport aux années précédentes marquées par la sécheresse. Au niveau de la zone betteravière, la baisse est encore plus importante : -19,3 % par rapport à 2023 et -19,4 % par rapport à la moyenne 2019-2023. Selon les estimations du ministère de l’Agriculture, la Marne a le plus souffert, avec 28,2 % de baisse par rapport à la moyenne 5 ans.
« Cette situation est due à la forte pluviométrie de la campagne, ainsi qu’au défaut de rayonnement pendant la floraison, ou en fin de cycle », estiment Arvalis, Terres Inovia et FranceAgriMer. Si on conjugue ce rendement avec la diminution des surfaces implantées en blé (-10,8 % par rapport à 2013) en raison de l’importante pluviométrie de l’automne et de l’hiver, la récolte nationale de blé chute à 26,3 Mt, soit la plus faible récolte depuis 1987. Même en 2016, nous étions au-dessus.
Selon Agreste, l’orge d’hiver subit le même sort, avec un rendement estimé à 57,6 q/ha, soit seulement 2,4 q/ha de plus qu’en 2016. Elle baisse de 18,8 % par rapport à 2023 (-22,3 % dans la zone betteravière). L’orge de printemps a moins souffert, et baisse seulement de 1,4q/ha par rapport à 2023 et de 1q/ha par rapport à la moyenne 5 ans. Ses surfaces étaient d’ailleurs en forte augmentation (+28 %), car cette culture a remplacé par endroits des céréales d’hiver, qui n’avaient pas pu être implantées à temps.
60 % des pois d’hiver n’ont pas pu être récoltés
La situation est même pire pour les protéagineux, culture poussée dans le cadre des écorégimes de la PAC : près de 60 % des surfaces de pois d’hiver n’ont même pas pu être récoltés, affirme la Fop dans un communiqué du 24 juillet qui pointe « un hiver et un printemps battant des records climatiques de chaleur et d’humidité, des semis très tardifs impactés par des précipitations constantes et une pression maladie ayant pris au dépourvu de nombreux producteurs ». Cette situation démontre d’ailleurs que pousser réglementairement et politiquement une culture ne suffit pas à la faire pousser dans les champs : encore faut-il que les producteurs disposent des moyens de production. La féverole d’hiver et, dans une moindre mesure, les pois de printemps, ont mieux résisté aux intempéries.
Le colza, quant à lui, accuse une baisse plus légère que les céréales : -7 % par rapport à 2023 et -9,7 % par rapport à la moyenne 5 ans. À l’inverse du blé, l’oléagineux a été légèrement moins impacté dans la zone betteravière que sur l’ensemble de la France. Cependant certains départements, comme l’Eure-et-Loir, sont plus touchés que les autres (-19,9 % par rapport à la moyenne 5 ans).
Le problème du rendement se conjugue avec celui du prix : « à l’échelle des grands pays producteurs de blé, la récolte est bonne et en quantité suffisante, les prix restent donc bas. Pour les agriculteurs français, c’est la double sanction : faibles quantités et prix bas », s’inquiète le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, dans les colonnes du JDD le 26 août 2024. Et c’est sans compter la dégradation de la qualité du blé français qui conduira à des réfactions non négligeables sur le prix payé au producteur, explique l’AGPB. Enfin, il faut relever que le niveau des charges est resté très élévé en 2024.
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Déclencher l’assurance récolte
Cette moisson a fait ressurgir le spectre de l’année 2016 chez beaucoup d’agriculteurs. Comment peut-on alors limiter les pertes financières, pertes que l’AGPB estime à 1,6 Mds d’€ en 2024 ? Ceux qui ont souscrit à l’assurance récolte (récemment réformée) pourront espérer limiter la casse.
« Concrètement, pour un agriculteur assuré, ses pertes seront indemnisées, par son assureur et par l’État, à 100 % au-delà de sa franchise », affirmait le ministère de l’Agriculture le 12 août. Si Philippe Heusèle est satisfait de cette déclaration, il aimerait que le ministère éclaircisse comment il entend imposer aux assureurs cette interprétation de leur contrat, de façon à indemniser les agriculteurs le plus complètement possible. En effet, il y a une zone de flou dans l’application de cette nouvelle assurance. Il faudra veiller à ce qu’il n’y ait pas de perte qui soit affectée à un aléa considéré comme non climatique. Par exemple, « la pression exceptionnelle des maladies fongiques est bien due au climat excessivement pluvieux », précise le secrétaire général de l’AGPB. Quoi qu’il en soit, la façon dont seront traités les dossiers déterminera l’avenir de l’assurance récolte : « on ne peut pas dire aux agriculteurs qu’il faut s’assurer et après, que cela ne fonctionne pas », a déclaré Arnaud Rousseau lors de la conférence de presse de rentrée de la FNSEA, le 29 août.
Pour ceux qui n’ont pas souscrit à l’assurance récolte, il reste encore le dispositif public ISN (Indemnisation fondée sur la Solidarité Nationale). Cependant, ce dernier ne se déclenche qu’à partir d’une pertes supérieures à 50 %. Ce qui, malgré une très mauvaise récolte, ne concernera que peu de producteurs. Et au-delà de ce seuil, seules 40 % des pertes seront remboursées. Par ailleurs, selon les premiers échos, le ministère semble s’orienter vers un zonage du territoire qui inquiète Philippe Heusèle. Quoi qu’il en soit, l’ISN offre certes un filet de sécurité à tous les producteurs, mais la protection est très faible. Les agriculteurs qui pourraient quand même être éligibles sont invités à se rapprocher de leur Direction départementale des territoires (DDT). Attention, à la suite de la dernière réforme de l’assurance récolte et à la mise en place d’un guichet unique, les agriculteurs qui n’ont assuré que certaines cultures devront se rapprocher de leur assureur pour l’ensemble de leurs cultures (assurées et non assurées). En tout état de cause, l’assurance ne couvrira pas tout le manque à gagner, y compris pour les agriculteurs qui avaient souscrit à un contrat.
Le syndicalisme interpelle le pouvoir politique
Cette moisson catastrophique intervient moins de 6 mois après les manifestations historiques du début d’année. Manifestations dont beaucoup d’agriculteurs estiment qu’elles sont restées sans réponse suffisante.
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« Il y a urgence à agir pour surmonter cette année où rien ne nous aura été épargné sur les plans agronomiques et économiques », déclare Éric Thirouin, le président de l’AGPB qui a invité le ministre de l’Agriculture, en Eure-et-Loir, le lundi 29 juillet, pour constater l’ampleur et les conséquences catastrophiques de l’effondrement des récoltes. Le céréalier a appelé le ministre de l’Agriculture au déploiement de mesures d’urgence, comme le dégrèvement de la taxe sur le foncier non bâti (TFNB), les reports ou prises en charge de cotisations MSA ou le financement des frais de report de prêt bancaire. « Nous attendons désormais l’action concrète des pouvoirs publics », prévient-il.
En réponse, le ministère a publié un communiqué, le 12 août, qui rappelle la boîte à outils des mesures utilisables. Mais les réponses concrètes apportées à cette situation de crise restent à être précisées, explique Philippe Heusèle. On peut cependant noter le renouvellement du versement au 16 octobre d’une avance de 70 % pour les aides découplées de la PAC ou la mention d’un dégrèvement augmenté de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB, qui reste à la main des préfets). Deux mesures utilisées couramment par le passé.
Dans son interview au JDD, Arnaud Rousseau rappelle : « ce que nous demandons à l’État depuis plusieurs semaines, sans réponse, ce sont des prêts de trésorerie, une forme de PGE (prêt garanti par l’État) agricole ».
Une mauvaise année qui confirme cependant une tendance de fond
« Pour les céréaliers, cette moisson catastrophique est également révélatrice des difficultés croissantes rencontrées pour protéger les cultures, faute de solutions phytosanitaires disponibles », affirme l’AGPB dans un communiqué de presse. Alors que la campagne 2023-2024 a été particulièrement favorable aux maladies et aux adventices, Éric Thirouin s’inquiète : « nous sommes aujourd’hui face à un véritable problème de méthode. Les impasses agronomiques se multiplient et fragilisent la production de céréales. Nous plaidons depuis des mois pour un texte de loi dédié à la protection des cultures qui prenne en compte un principe de bon sens : pas d’interdiction sans alternative réellement viable ». Il revendique une approche bénéfice/risque équilibrée pour la santé des plantes et du consommateur, ainsi qu’à des investissements massifs à la hauteur de l’enjeu. D’ailleurs, les rendements 2024 viennent confirmer la courbe de stagnation, voire de baisse, des rendements moyens commencée il y a environ 25 ans.
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De nouvelles manifestations à venir ?
Doit-on s’attendre à une nouvelle vague de colère des agriculteurs ? « En réalité, elle est déjà là, sous-jacente, la situation est devenue critique. Pour tous les agriculteurs que j’ai rencontrés, partout en France, dans toutes les filières, il y a un sentiment d’abandon, un grand vide », prévient dans son interview au JDD Arnaud Rousseau.
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