Les forestiers et les chasseurs n’ont pas la même conception du grand gibier. Pour les premiers, c’est un concurrent. Pour les seconds, une valeur ajoutée. Comme son nom l’indique, la mission du forestier et de l’ONF est de protéger la forêt. On la soigne, on l’entretient, on l’élague, on fait des coupes : c’est un outil économique. Les cerfs, les chevreuils, les sangliers l’animent. Mais au prix de dégâts jugés parfois insupportables. Certes, le forestier est obligé de tenir compte de l’esprit du temps, c’est-à-dire de la volonté du grand public de voir beaucoup d’animaux. Mais point trop n’en faut. Son bras armé, c’est donc le chasseur. Il a un double intérêt. D’abord on lui concède un droit de chasse et ces rentrées financières ne sont pas négligeables (environ 40 millions d’euros chaque année). Ensuite, il fait le ménage dans les grands massifs.
La querelle porte sur le nombre d’animaux à éliminer.
Jamais assez pour le forestier, souvent trop pour le chasseur qui veut conserver son capital. Récemment la FNC a donc signé avec l’ONF un accord à ce sujet. Il porte sur la gestion des « grands ongulés », cerfs et chevreuils, ces animaux si friands d’écorce et de jeunes pousses. Compte tenu de l’expansion des populations, il a fallu que les chasseurs lâchent du lest et acceptent de tirer davantage. Pour reprendre une scène culte du film « Le parrain », l’Office, comme Don Corleone, leur a proposé un accord « qu’ils ne pouvaient pas refuser » : plus de prélèvements contre un droit de chasse allégé. En clair, les associations paieront moins cher le droit de pratiquer en forêt domaniale si elles s’engagent à respecter les nouveaux quotas des plans de chasse. Il s’agit des zones en déséquilibre forêt gibier. Dans les autres, la formule est plus sibylline : « l’accord prévoit de récompenser les comportements qui permettent le renouvellement par plantation sans protection. »
On aura compris que, là encore, il vaudra mieux avoir la queue de détente sensible. En effet, si à la fin de la saison les forestiers comprennent que les jeunes plants ont été mangés, pas de récompense. Cela dit, on ne connaît pas exactement sa nature. Une médaille de la sylviculture comme pour le Dr Armand-Delille ? Quelques morceaux de venaison ? Une réduction du loyer la saison suivante ? Une prime ? Cela n’est pas précisé dans l’accord.
Les vertus de l’agrainage
Si les chasseurs jouent le jeu, l’Office s’engage à favoriser les mesures sylvicoles et des aménagements susceptibles d’améliorer la capacité d’accueil du milieu. Il s’engage ainsi à conserver les feuillus naturels, à maintenir les houppiers d’arbres abattus et à maintenir des sous-bois nourriciers. C’est une concession à l’animal pour montrer la bonne volonté du propriétaire.
Détail intéressant : la FNC et l’ONF conviennent également d’utiliser l’agrainage comme un levier « contribuant à faire baisser les dégâts agricoles et forestiers et à faciliter les prélèvements ». On se souvient que l’agrainage est souvent jugé quasi satanique par les autorités de tutelle. Ce serait un moyen artificiel de gonfler les populations – de sangliers notamment – et aussi une ruse pour garder chez soi le gibier.
Mais dans le cadre du nouvel accord, il sera possible de déployer un « agrainage dissuasif ». Le but est de nourrir suffisamment le grand gibier pour qu’il n’ait plus envie de manger la forêt.
Tir d’été du chevreuil
Le chevreuil est concerné par ces nouvelles dispositions au même titre que les grands cervidés. L’accord prévoit de favoriser leur prélèvement par le tir d’été. Celui-ci est jugé très efficace en cas de surpopulation.
D’une manière plus générale, la FNC et l’ONF sont « favorables à la diversification des modes de chasse » et s’engagent « à promouvoir la valorisation des produits de la chasse par la création de filières venaison sur le territoire ».
Enfin, il a été décidé d’organiser des réunions régulières pour faire le point sur ces différentes mesures et pouvoir ainsi les corriger si nécessaire. Le communiqué insiste sur la nécessaire « coopération » entre chasseurs et forestiers.
Pour l’ONF, environ 40 % des forêts domaniales sont actuellement en surpopulation. La trop grande consommation de graines, de jeunes pousses, de plants et de végétaux compromet la régénération.
Pour les 100 000 chasseurs qui pratiquent en forêt domaniale, celle-ci reste un formidable terrain de jeu. Elle est bien gérée, imposante, bien percée, agréable à chasser. Et le gibier est abondant. Certes, les loyers sont parfois assez élevés mais pas dissuasifs pour autant. La preuve ? La location des 270 lots est renouvelée à plus de 90 % chaque année.
Bailleurs et locataires se tiennent par la barbichette et ont tout intérêt à s’entendre. Ils viennent de le prouver.