Face aux enjeux de décarbonation de la filière céréalière, la feuille de route de la filière brassicole, depuis les producteurs jusqu’aux brasseurs, est en cours d’écriture. Le cap et les leviers ont été présentés ce 18 avril à Reims lors du colloque qu’Arvalis organise chaque année avec ses partenaires. En l’occurrence, il s’agit des Brasseurs de France, de Malteurs de France, d’Intercéréales et de l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB). « Pour tendre vers les objectifs des accords de Paris, la filière brassicole a lancé deux chantiers menés en parallèle : le calcul de l’empreinte carbone et une feuille de route de décarbonation co-construite avec l’État », indique Cécile Adda-Dailly, responsable RSE d’Intercéréales. En effet, de la culture à la seconde transformation, l’ensemble de la filière céréalière française émet 27,5 Mt équivalent CO2, dont 71 % proviennent de la production des céréales (19,5 Mt).

Dans ce cadre, la production d’orge représente 16 % des émissions des céréales, soit 3,1 MteqCO2. La fertilisation azotée constitue la principale source d’émissions.

« Les pratiques de fertilisation azotée ont un rôle majeur dans la teneur en protéines, elle-même prépondérante dans les process de malterie et de brasserie », avertit Marc Schmitt, directeur de l’Institut français des boissons, de la brasserie et de la malterie (IFBM). Outre la qualité, l’ajustement des pratiques ne doit pas faire perdre en rendement ni en compétitivité. En effet, les orges d’hiver brassicoles françaises s’exportent vers l’Amérique Centrale et l’Afrique, en plus de l’Asie.

« L’objectif consiste à mettre en place des solutions économiquement équilibrées pour limiter le surcoût car nous ne savons pas ce que les clients sont prêts à payer pour un produit décarboné », précise Jean-Philippe Jelu, président de Malteurs de France.

Alors, comment assurer de bons rendements, obtenir un malt de qualité tout en répondant aux enjeux de décarbonation de la filière ?

Stratégie robuste de fractionnement de l’azote

Un des leviers consiste à accroître la fertilité naturelle des sols avec les couverts intermédiaires et l’introduction de légumineuses dans la rotation. En complément, le fractionnement de la dose prévisionnelle d’azote permet d’optimiser les apports aux besoins de la plante et de s’adapter au potentiel de l’année, très dépendant du climat. « D’autant qu’en fin de cycle, période prépondérante pour le transfert de l’azote vers les grains et donc la constitution de teneur en protéines, très peu de leviers sont disponibles, précise Mélanie Franche, ingénieure Arvalis. En effet, durant la phase de remplissage des grains, des températures fraîches avantagent le métabolisme du carbone et conduisent à des teneurs en protéines plus diluées. En revanche, des températures élevées favorisent davantage le métabolisme de l’azote dans le grain. »

Dans ces conditions, voici ce qu’elle conseille pour piloter l’azote : « si la dose prévisionnelle est inférieure à 130 kgN/ha, fractionnez en deux apports. Avec une dose supérieure à 140 kgN/ha, trois apports, de 30 à 40 KgN, deviennent possibles mais sans dépasser le stade 2 nœuds. Cela limite les risques de teneurs en protéines trop élevées. » À titre d’exemple, un outil de pilotage tel que le N-Tester (Yara) détecte les situations sous-fertilisées, avec, dans ces cas, un gain de 11 q/ha et 0,8 point de protéines.

Le levier « engrais décarboné » est également à suivre : des fabricants d’engrais azotés (Yara et Fertiberia) mettent au point de l’ammoniac qualifié de « vert ». Le gaz naturel fossile est remplacé par du biométhane ou de l’hydrogène obtenu par hydrolyse de l’eau.

Levier de la création variétale

En amont, le processus de création variétale joue aussi son rôle dans la décarbonation. Les variétés s’avèrent de plus en plus efficientes pour valoriser l’azote, synthétiser les protéines et produire de la biomasse. Pour preuve, Marc Schmitt partage les résultats CTPS (Comité technique permanent de la sélection) des variétés d’orge brassicole inscrites entre 2007 et 2020. En moyenne, le rendement (essai traité) augmente de 0,34 q/an pour l’orge 6 rangs d’hiver (6RH). Par ailleurs, il souligne le tournant pris en 2018, en termes de progrès agronomiques et technologiques avec l’arrivée de KWS Faro. « Aujourd’hui, tous les dépôts de variétés 6RH sont tolérants à la jaunisse nanisante de l’orge (JNO) », partage-t-il. Quant aux pertes de propriétés technologiques (extrait, viscosité du moût…) apparues avec la tolérance à la JNO ? « Les sélectionneurs sont en train de rattraper ces défauts », rassure-t-il.
Pour cette période de 13 ans, les rendements ont augmenté de 0,65 q/an en orge 2 rangs d’hiver (2RH) et de 0,69 q/an en orge 2 rangs de printemps (2RP). En parallèle, les teneurs en protéines gagnent 0,03 % par an en orge 6RH et en orge 2RP. Ainsi, il relève le progrès sur la qualité du malt apporté avec la variété LG Tosca en 2019, le progrès agronomique de KWS Thalis en 2021 ou encore de Sting en 2023. À l’avenir, l’offre en orge 2RP va se segmenter avec davantage de variétés leader performantes. « Elles vont trouver leurs marchés en fonction des zones cultivées et de la demande », poursuit Marc Schmitt.

Pour autant, d’autres défis agronomiques restent encore à relever : régularité dans les performances, tolérance aux bioagresseurs et résilience face aux périodes de sécheresse et aux vagues de chaleur.