Après les lois Egalim 1, 2 et 3 et la crise agricole du début de l’année 2024, le gouvernement a chargé les députés de travailler sur l’écriture de la quatrième version de la loi Egalim, qui doit entre autres intégrer les prix planchers annoncés par Emmanuel Macron lors du Salon de l’agriculture. Ces initiatives ambitionnent de résoudre le problème du revenu agricole plus par une augmentation des prix que par une baisse du coût de production. Philippe Goetzmann n’est pas d’accord avec cette approche. Après avoir travaillé 24 ans chez Auchan, il est un spécialiste du secteur de l’agroalimentaire. Il préside un cabinet de conseil qui accompagne les grandes enseignes sur leurs choix stratégiques. Il est également membre de l’Académie d’agriculture et nous livre son analyse.

Que pensez-vous des revendications des agriculteurs lors des manifestations du mois de janvier ?

Je pense qu’elles sont très largement fondées et légitimes. Pour autant, je ne les comprends pas toutes. Les revendications qui concernent les normes me paraissent être une évidence tellement leur métier, et d’une façon générale l’économie, est écrasé par cette bureaucratie française. Mais je ne comprends pas leur revendication sur les prix. Je m’explique : on a une fâcheuse tendance, dans le monde agricole notamment, à passer de la revendication sur la rémunération à la revendication sur le prix de vente. Ce qui est important, ce n’est pas d’abord le prix mais la rémunération. Et je comprends bien qu’il y ait une revendication sur le revenu agricole. Mais la rémunération, c’est un prix multiplié par un volume, moins des charges. À focaliser sur le prix, on s’exonère de la réflexion sur les coûts de production. Il ne faut pas se tromper de combat.

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Cela signifie-t-il que le problème du revenu est en fait un problème de coût de production ?

En France, on n’a pas un problème de prix mais de coût sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Car produire en France est souvent moins rentable que produire en Allemagne ou en Espagne. Selon Eurostat, l’alimentation est sensiblement plus chère en France que chez nos voisins directs. Parallèlement, la rentabilité de chacun des maillons de l’agroalimentaire en France est plus basse que celle de nos voisins européens, notamment celle de la grande distribution.

Si le problème agricole était un problème de distribution française, on aurait un problème en France mais pas à l’export. Or, on perd des parts de marché à l’export. Cela signifie que c’est un problème de compétitivité et de coût de production. Mais c’est un problème français plus large que l’agriculture.

Il faut aussi noter qu’une augmentation des prix de vente en supermarché se traduirait par une baisse des volumes vendus. Il n’y a pas de capacité réelle d’augmenter la dépense budgétaire des Français. Vendre plus cher veut dire accepter la réduction des volumes.

Pour quelles raisons les coûts de production sont-ils plus élevés en France qu’ailleurs ?

La principale cause, c’est le poids fiscal, social et normatif que portent les agriculteurs français. Les normes coûtent une fortune, notamment quand la France va plus loin que le droit européen comme vous le connaissez dans la betterave. Par ailleurs, notre fiscalité coûte cher, et renchérit le coût de l’alimentation qu’un certain nombre de nos concitoyens ne peuvent plus payer. Il faut noter aussi que modèle social français est financé par les filières qui ont le moins délocalisé, dont fait partie la filière alimentaire. La deuxième cause est le manque d’économie d’échelle dans les plus petites fermes. Enfin, nous produisons une surqualité et une surcomplexité qui n’est pas valorisée sur le marché.

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Pourquoi l’État envisage-t-il de résoudre le problème du revenu agricole en réglementant les prix de vente ?

Les politiques ont intérêt à dériver des charges vers le prix car cela leur permet de s’exonérer de leur propre turpitude. L’État est le premier responsable du coût de production via le poids fiscal, social et normatif, alors que la réflexion sur les prix leur permet de renvoyer les balles sur les acteurs privés.

Que pensez-vous de la loi Egalim ?

Cela fait 5 ans que je dis que cette loi va dans le mur car elle ne s’occupe que du prix et pas des coûts ou des volumes. À partir du moment où nous appartenons à un marché commun avec une monnaie unique, des frontières ouvertes et une politique agricole commune, ces lois ne pouvaient qu’échouer. L’idée même de concevoir un prix en marche avant n’a jamais existé, sauf dans une économie administrée. Le prix est le point d’équilibre entre l’offre et la demande. La loi Egalim n’est pas une mauvaise loi en soi, mais elle ignore les mécanismes de l’économie. En outre, en étant un peu provocateur, je dirai que c’est une loi Frexit, puisqu’elle ne s’applique pas à l’ensemble du marché commun européen. Elle ne peut être réellement efficace qu’à l’abri de la concurrence européenne, c’est-à-dire en refermant les frontières françaises et en sortant de la PAC.

Quelle attitude l’État devrait-t-il adopter vis-à-vis des industriels et des distributeurs ?

On ne régule pas les marges par l’encadrement ou par la transparence mais par la concurrence. La question est donc : comment favoriser la concurrence entre les industriels et entre les distributeurs, qui manque par endroits ? Comment arrive-t-on à casser les situations oligopolistiques qui existent çà et là dans la filière ? Cela aurait plus de sens pour l’amont agricole. Par ailleurs, l’État devrait baisser la fiscalité et les charges sur l’ensemble de la chaîne alimentaire.