Beaucoup de chasseurs ont vu sur Youtube cette séquence hallucinante : une moissonneuse termine la coupe d’un champ de maïs. Il ne reste plus que vingt mètres carrés à faucher. C’est alors que, sortis comme par magie des épis, une file interminable de sangliers s’échappe. On en compte une cinquantaine. Cette séquence a été tournée en Allemagne. Elle aurait pu aussi être tournée en France. Les populations de sangliers explosent, on en voit partout y compris dans les centres-villes et la situation devient insupportable. Les agriculteurs sont aux cent coups et les évènements récents ont montré leur exaspération. On leur a donc rajouté les moyens de se défendre. Depuis le 28 décembre 2023, un arrêté ministériel autorise l’emploi de la chevrotine dans tous les départements et le recours à la moissonneuse-batteuse comme moyen de rabat lors de battues autour des cultures en cours de récolte.
Concrètement, on disposera donc des postes de tir autour de la pièce de culture à récolter. La moissonneuse-batteuse entrera alors dans la pièce et les sangliers, qui y ont trouvé refuge, s’égaieront comme volée de moineaux. Aux chasseurs d’en prélever le maximum. Cette nouvelle mesure sera-t-elle de nature à réduire l’envahisseur ? C’est peu probable. En effet si une vingtaine de sangliers sortent du maïs, combien resteront sur le carreau ? Quatre ou cinq tout au plus. D’autant que les animaux sortiront « en paquet ». Mais l’idée est avant tout de rassurer les agriculteurs. De les aider à se défendre.
La chevrotine partout
L’autre mesure concerne l’usage des chevrotines. Rappelons qu’elle avait été interdite en 1972 pour tous les grands gibiers, à l’exception du sanglier et du chevreuil. Ce dernier pouvait être tiré avec de la grenaille de plomb de moins de 4 mm dans certains départements. Quant au sanglier, l’usage de la chevrotine restait autorisé dans les milieux constitués de « garrigue et de maquis » (en Corse). En 2018, nouvelle exception dans le département des Landes. Aujourd’hui, on ouvre grand les vannes. La chevrotine pourra être utilisée dans tous les départements. La ministre chargée de la chasse peut l’autoriser par arrêté triennal, notamment dans les zones où le tissu urbain est dense. L’objectif est évidemment d’éviter la balle perdue. Chaque année ou presque, un projectile traverse une vitre, une porte, un mur, une carrosserie. Tout récemment, un chasseur de 64 ans, originaire de Gironde, a été condamné à trois mois de prison avec sursis et à un retrait définitif de son permis de chasse. En 2020, une de ses balles avait atteint une voiture de touristes hollandais qui circulaient sur l’A63, blessant grièvement le passager. On l’oublie souvent, mais une balle de carabine reste dangereuse à des kilomètres. La chevrotine, elle, ne l’est plus après cent mètres. Le revers de la médaille c’est que ces projectiles blessent souvent l’animal. Il ne faudrait donc tirer que dans un rayon de moins de vingt mètres pour avoir une concentration de la gerbe et la quasi-certitude de tuer. Or, des chasseurs se laisseront sans doute emporter par la passion. Le gouvernement a estimé qu’un animal blessé valait mieux qu’un humain tué. D’autant que les faits divers, qui chaque année défraient la presse régionale, n’améliorent pas l’image du chasseur.
Que feront les chasseurs ?
Si la chevrotine est autorisée dans tel ou tel département « l’autorisation fera l’objet au plus tard deux mois après la fin de la campagne d’un rapport rédigé par la fédération départementale des chasseurs et qui sera transmis au ministre ».
On voit donc qu’il s’agit d’une expérimentation à grande échelle. Cette munition ne sera pas obligatoire. Les chasseurs auront le choix entre l’utiliser ou rester fidèles à leur arme rayée. Combien opteront pour le nouveau dispositif ? C’est toute la question. Il est probable que les possesseurs de carabines ne changeront pas leurs habitudes. En revanche, ceux qui tiraient des balles en battue avec des fusils à canons lisses pourront peut-être se laisser tenter. À condition que les collègues ne fassent pas les gros yeux … Car ils seront sans doute mal considérés. N’a-t-on pas répété, pendant des années, que les chevrotines n’étaient pas « éthiques », que seule la balle était convenable pour chasser le grand gibier ?
Si, après deux ou trois campagnes, le rapport remis à la ministre souligne que la sauce ne prend pas, que les chasseurs restent fidèles à leurs habitudes, que d’ailleurs les présidents de sociétés de chasse n’encouragent pas l’usage de la chevrotine, que se passera-t-il ? Cette munition continuera sans doute à être une option. Mais sans réel impact.