En cette fin mars, la publication de l’arrêté sur les nouveaux seuils de mycotoxines dans les céréales est imminente. Le règlement CE 2023/915 prévoit une mise en œuvre de ces nouveaux seuils, à compter du 1er juillet 2024 ! Cette évolution engage, en premier lieu, l’organisme stockeur lorsqu’il livre un lot au transformateur. Un dépassement de ces seuils conduit à un déclassement de la marchandise. Toutefois, la dilution intentionnelle d’un lot de grains contaminé étant interdite, la qualité sanitaire repose bien sur une gestion collective.
Tout commence au champ. En effet, les mycotoxines sont produites par le Fusarium, qui s’installe sur les fleurs des céréales et les grains à la faveur des pluies. « La réglementation établit un équilibre entre la préservation de la santé des consommateurs et la possibilité de produire ces denrées en conformité avec ces exigences sanitaires », prévient Béatrice Orlando, ingénieure R&D qualité des céréales chez Arvalis.
Par exemple, le règlement abaisse le seuil de mycotoxines DON (Deoxynivalénol) en blé tendre et orge de 1 250 à 1 000 µg/kg, de 1 750 à 1 500 µg/kg en maïs. Quant aux teneurs en toxines T2 et HT2 (Trichothécènes A), aussi produites par les moisissures de Fusarium, la recommandation devient réglementaire. « Les mycotoxines T2 et HT2 sont plus toxiques que le DON, ce qui explique l’instauration des valeurs plus faibles, complète l’experte. Toutefois, ces teneurs sont très rarement dépassées. »
Surveillance de Fusarium graminearum
Dans les résultats de l’enquête Carto Qualité 2023 de Bayer, 20 % des 75 parcelles de blé sont touchées par la fusariose. De plus, 8 % de celles non protégées en T3 enregistrent un dépassement du seuil réglementaire. Soit 5 points de plus qu’en 2022. La vigilance reste donc de mise pour le DON.
Cependant, le taux de mycotoxines n’est pas toujours corrélé au niveau de contamination des grains par le Fusarium. Une certitude : seule Fusarium graminearum en produit. Jérôme Thibierge, ingénieur en protection intégrée des cultures, maladies des céréales à paille chez Arvalis, rappelle que ces pathogènes affectent aussi le rendement : « Les 104 essais sur blé tendre menés de 2008 à 2020 par Arvalis révèlent jusqu’à 10 q/ha de perte en l’absence de traitement fongicide, soit en moyenne 2,9 q/ha.»
Résidus de paille et variétés tolérantes
Alors comment agir au niveau de la parcelle ? Les parcelles en maïs grain (cannes non récoltées) et, dans une moindre mesure, celles en ensilage (cannes récoltées) sont les précédents les plus à risques. « L’enfouissement des cannes par un travail profond du sol se révèle efficace pour réduire la contamination de la culture suivante», rappelle l’ingénieur. Pour les itinéraires techniques en semis direct, le problème reste entier. La réponse peut se trouver du côté de la tolérance variétale vis-à-vis de l’accumulation des fusarioses et du DON. « Les contaminations peuvent être divisées par deux avec ce seul levier génétique », complète Béatrice Orlando. Enfin, en dernier recours, la protection fongicide s’envisage si les pluies sévissent. « La règle de décision élaborée par Arvalis évalue le risque mycotoxines et aide à positionner les fongicides, poursuit Jérôme Thibierge. Toutefois, la décision de traitement ne doit pas être systématique mais toujours raisonnée, en fonction du risque lié à la parcelle et au climat de l’année. Beaucoup de situations ne le justifiant pas.»
Bruit de fond d’une résistance des Fusarium aux triazoles
Pour les programmes fongicides, il recommande une utilisation avec parcimonie des triazoles : « Nous n’avons pas pléthore de solutions et les IDM sont très sollicités sur céréales ». Faute de manifestation de la maladie, l’institut n’a pu recueillir en 2023 de résultats dans son réseau d’essais. En 2022, sur blé, Arvalis attribue une note de « bonne efficacité » contre F. graminearum notamment pour Prosaro (prothioconazole + tébuconazole) et le programme Caramba Star (metconazole) + Curbatur (prothioconazole). Les Qol (strobilurines) ressortent en perte d’efficacité.
Néanmoins, la note commune 2023 sur les résistances, élaborée chaque année par Arvalis, Inrae et l’Anses, révèle un bruit de fond pour cette famille de fongicides. « Depuis 10 ans, chaque année ces produits perdent un peu de leur efficacité », relève Jérôme Thibierge. Par prudence, en cas d’utilisation d’une triazole en T2 pour viser la septoriose et les rouilles, il préconise en T3 une autre molécule IDM. D’autant que les solutions de biocontrôle pour viser les fusarioses sont encore à l’étape de la recherche.
En creusant des galeries dans les épis de mais, les larves de pyrales ouvrent la porte aux spores de Fusarium graminearum, donc aux mycotoxines. La lutte biologique avec les Trichogrammes présente une bonne efficacité, mais nécessite de synchroniser le lâcher avec les premières pontes de pyrales que ces auxiliaires viennent parasiter. La lutte chimique consiste à repérer les vols, puis à agir sur les larves. Plusieurs options sont possibles : application des insecticides Dipel DF (Bacillus thuringiensis) de Philagro, Mezalid (Spinosad) de Corteva et Coragen (Chlorantraniliprole) de FMC avec OAD Arc farm intelligence…