Reboussin sort du cadre des peintres animaliers. Ce n’est ni Oberthur, ni Riab, ni Poret, ni Mérite, ni Bérille, ni Hallo, ni Rötig et combien d’autres ! Ceux-là pratiquent l’art classique. Aucun détail ne doit leur échapper. Il s’agit de reproduire le portrait exact des oiseaux, du grand gibier, des menus mammifères ou des prédateurs. C’est un dessin d’identité, comme il y a des photos d’identité.
Fasciné par la vie sauvage, Roger Reboussin a choisi un chemin de traverse : l’impressionnisme. Il ne s’agit plus de figer l’animal, mais au contraire de le laisser vivre et de capter son évolution dans le milieu.
Il naît dans une famille aisée, le 11 octobre 1881, à Sargé-sur-Braye (Loir-et-Cher), un village où il sera d’ailleurs inhumé quand il disparaîtra, le 19 février 1965, à l’âge de 84 ans. Familier des chiens et des chevaux qu’il dessine dès l’âge de 4 ans, passionné par l’ornithologie et la chasse, il commence ses études au lycée Ronsard de Vendôme. Après des études de commerce au Havre, pour complaire à son père, il envoie les bilans au diable et décide de se consacrer entièrement au dessin et à la peinture. Il étudie aux Beaux-Arts, au Louvre, au Muséum d’histoire naturelle et commence à exposer. En 1909, au salon des artistes français, il est classé parmi nos meilleurs animaliers. Quelques années plus tard, il illustre le livre de la jungle, de Rudyard Kipling, puis, continuant à peindre, il rassemble quelques confrères pour créer une association des artistes animaliers. Le succès est au rendez vous. Un mécène, l’industriel Louis Fricotelle, fait appel à lui pour décorer sa villa, « Le Caruhel », à Étables-sur-Mer (Côtes-d’Armor). Reboussin qui aime croquer « sur le vif » lui emprunte son bateau pendant un mois pour aller étudier les oiseaux de mer. Il concevra finalement, tout autour du plafond du grand salon, une vaste fresque. Des « fous de Bassan volant au-dessus des vagues » côtoient des cygnes et des cormorans. La villa existe toujours et se visite parfois.
Le peintre est maintenant connu. On cherche à le rencontrer, à lui faire présider des colloques, à entendre ses avis, à exposer ses œuvres. Dans les entretiens qu’il accorde à la presse, l’artiste ne cache pas sa sensibilité. Il se recommande des impressionnistes en général et de Claude Monet, en particulier. C’est la vie qui l‘intéresse, l’animal dans son milieu, capter un moment, une attitude. Et pas un cliché statique.
Un travail de titan
Il séduit un autre mécène, Marcel Jeanson, et c’est en chassant avec lui au gabion qu’ils évoquent pour la première fois un projet fou : peindre tous les oiseaux de France. Roger Reboussin, enthousiaste, s’attelle à la tâche. Il sillonne le pays, observe les oiseaux des marais, des plaines, des steppes, des bois, des forêts, des montagnes, des bords de mer, des jardins et des friches. Rien ne doit lui échapper. Trente ans de travail. Ce travail de titan s’achève, en 1941, par un livre magnifique, illustré par près de 400 gouaches : Les oiseaux de France. Il a été réédité en 1999.
Devenu maître de dessin au Muséum d’histoire naturelle, il voyage énormément, toujours accompagné de son pinceau et de ses carnets de croquis. Il se promène en Espagne, en Laponie, en Tchécoslovaquie, en Turquie, mais c’est surtout l’Afrique noire qui le fascine. Il fera de longs séjours au Congo belge, au Cameroun et au Tchad et, pour la première fois, peindra des portraits et des paysages.
Devenu un artiste reconnu, il accepte des commandes publiques dont l’étonnante décoration d’une salle de classe du lycée Buffon à Paris. Qu’on en juge : grande fresque d’une harde au bord d’un étang en lisière d’un bois, petit panneau vertical représentant la parade du butor étoilé, panneau représentant un vol d’oie sur une zone humide, panneau orné d’un faucon pèlerin apportant un macareux moine à ses petits, panneau représentant une martre poursuivant un écureuil dans un pin, grande fresque représentant des flamants roses en bord de mer.
Une décoration splendide. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Rien. J’ai appelé le lycée. Le chargé d’entretien des salles de classe m’a répondu qu’il n’avait jamais vu ces œuvres, qu’elles avaient disparu …
Une bonne cote
Roger Reboussin continue aussi à illustrer des livres. Citons notamment Contes de ma vie sauvage, L’oiseau chez lui, Les animaux dans l’œuvre d’Eugène Delacroix, Le chevalet de campagne de Maurice Genevoix, Le merveilleux voyage de Nils Holgerson à travers la Suède, Vingt fables de La Fontaine, Le roman de Miraut chien de chasse, Contes de la forêt vierge.
Ses œuvres se vendent toujours en salle des ventes et même plutôt bien. En novembre dernier, chez Thierry de Maigret, on a adjugé à l’hôtel Drouot de Paris, Les lapins, une huile sur toile (1 300 €) et une petite gouache sur papier, Renard et lapin dans la neige (1 900 €).
Roger Reboussin a ses partisans et ses adversaires. Les premiers raffolent de son style, du mouvement, du mimétisme ; les seconds lui reprochent d’être brouillon, pas assez précis, confus.
En matière de peinture, le débat reste toujours vif entre les classiques et les modernes. Et l’art animalier ne fait pas exception !