« 60 % des méthaniseurs français disposent d’un séparateur de phase qui permet de produire trois sortes de digestat : brut, solide ou liquide, indique Grégory Vrignaud, gérant d’ACE méthanisation. Chacune d’elles contient une fraction azotée dont les effets sont plus ou moins rapides ». Plus le digestat est liquide et contient de l’azote ammoniacal NH4+, plus il est rapidement efficace et disponible pour la plante. À l’inverse, un digestat solide, qui contient davantage d’azote organique, doit être dégradé pour libérer l’azote sous une forme assimilable par la plante. Son action sur la culture est donc plus lente. Quant à l’action de la fraction brute, elle est intermédiaire. « Pour une quantité d’azote total équivalente pour ces trois formes (brute, solide et liquide), c’est le rapport C/N et le pourcentage d’azote ammoniacal qui rend un même digestat de base plus ou moins rapidement efficace », résume Grégory Vrignaud.
Gare à la volatilisation de l’azote ammoniacal
Pour valoriser au mieux le digestat, une analyse est essentielle pour connaître la teneur en matière sèche et en azote (avec la distinction entre l’azote ammoniacal et total, qui traduit la vitesse d’efficience), le rapport C/N, etc. Cette caractérisation du digestat est en lien avec la ration. Généralement, un digestat brut issu d’une ration de fumier et d’ensilage contient en moyenne 4,5 kg par tonne d’azote total (6 kg/t dans le cas de fumier de volailles versus 3,5 kg/t pour du fumier de bovins).
Un temps sec et venteux lors de l’épandage favorise le risque de volatilisation. Les pertes en azote ammoniacal peuvent atteindre 20 à 30 % si le digestat liquide n’est pas enfoui suffisamment rapidement après l’épandage. Pour ce faire, il est possible d’utiliser une tonne à lisier avec enfouisseur ou de passer le déchaumeur dans les 6 à 12 heures qui suivent l’épandage. Sur les céréales à paille en végétation, l’enfouissement peut être réalisé avec une rampe à patins. Celle-ci exerce un grattage superficiel qui dilue le produit organique dans le sol. Quant à la rampe à pendillards, elle permet de réduire la volatilisation à condition que les pendillards glissent sur le sol, évitant ainsi que les microgouttelettes du digestat liquide rentrent en contact avec l’air.
Cibler une approche globale et cohérente.
L’optimisation de l’azote contenu dans les digestats dépend donc de leur composition et de leur forme (qui traduit la rapidité d’efficacité), des besoins de la culture, de la période d’épandage en lien avec la réglementation. Pour information, dans le cadre de la 7ème directive nitrates, le digestat solide est classé en tant que fertilisant de type I (a ou b), alors que les digestats liquide et brut font partie des types II.
Un digestat liquide composé globalement de 60 % d’azote ammoniacal NH4+ contient de l’azote directement disponible par la plante quelques jours après son épandage. Cependant, cette forme, non lessivable, pour être captée, doit être proche des racines. Dans un sol à une température comprise entre 5 et 7°C, cet ion NH4+ passe à l’état d’ion nitrate NO3- assimilable par la plante mais lessivable, ce qui explique qu’il convient d’apporter le digestat liquide au plus près des besoins de la plante, soit 10 à 15 jours avant le stade épi 1 cm pour un blé. Sur un maïs à bon potentiel, le fractionnement de la dose est préconisé pour apporter la bonne dose d’azote au bon moment.
Apporté sur une prairie en période estivale (en respectant les périodes d’épandage autorisées), un digestat liquide permet un gain de deux à trois tonnes de matière sèche par hectare et peut offrir un passage de pâturage supplémentaire à l’automne. C’est le même constat pour un épandage sur des couverts dans les zones autorisées. Ceux-ci produisent davantage de biomasse grâce à un effet coup de fouet de l’azote. « Cette fertilisation liquide, par effet indirect, joue également un rôle amendant pour le sol grâce à des couverts végétaux fertilisés qui apportent au système davantage de matière organique, constate Grégory Vrignaud. Ils agissent également sur le captage de CO2. C’est vertueux ».
Le digestat liquide convient également dans les situations où la paille a été broyée au moment de la moisson. L’azote ainsi apporté est mobilisé pour dégrader les résidus de récolte sans pénaliser la culture suivante, par exemple un colza. Celui-ci dispose de l’azote contenu dans le sol et ne souffre pas d’une faim d’azote à l’automne. « Le colza est alors plus robuste pour faire face aux attaques de ravageurs, souligne Grégory Vrignaud. Indirectement, l’apport de digestat, que la forme soit liquide ou solide, permet donc à l’agriculteur de réduire ses IFT ».
« Depuis 2018, nous travaillons avec différents partenaires sur le projet Dige’O au sein de la ferme pédagogique et expérimentale du lycée agricole d’Obernai, explique Margaret Johnson, ingénieure d’études dans l’établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricoles (EPLEFPA) d’Obernai. Celui-ci dispose d’une unité de méthanisation (production annuelle de 2 000 MWh électrique), sans séparation de phase qui produit un digestat brut assez liquide avec une teneur moyenne en azote total de 4,8 kg/t. Notre objectif consiste à suivre, sur une longue durée, l’impact du digestat sur la qualité de l’air (en lien avec la volatilisation de l’azote ammoniacal), de l’eau (avec le suivi de la lixiviation des nitrates à l’aide de bougies poreuses), du sol et des végétaux. Les produits organiques, sont également analysés pour leur valeur agronomique lors de chaque épandage et comparés aux références historiques de fertilisation (fumier de bovin et engrais minéral). En parallèle, nous explorons de nouvelles pratiques dans les systèmes méthaniseur avec des épandages de digestats solide et liquide. Nous recherchons le système cultural le mieux adapté et le plus cohérent agronomiquement ».