Dans le cadre du projet d’arrêté gouvernemental pour une dérogation d’utilisation de deux néonicotinoïdes(NNI) en enrobage des semences de betteraves, celle-ci est assortie de contraintes portant sur les délais à respecter avant de semer certaines cultures, après des betteraves traitées NNI, cultivées en 2021 ou en 2022. Ces délais ont été décidés par l’Anses en réponse aux saisines qui ont été demandées par le Gouvernement (DGAL), et l’agence s’appuie essentiellement sur la grille d’exposition des pollinisateurs créée par l’ITSAP pour qualifier chacune de ces mêmes cultures.
Pour donner suite à l’arrêté du 5 février 2021, qui incitait l’Anses à revisiter éventuellement sa première classification d’années au vu de nouvelles données techniques et scientifiques, la filière betterave sucre a mis en avant que ce classement ne correspondit pas aux rotations habituelles des agriculteurs, et que son maintien entraînerait des conséquences négatives. Elle a missionné son institut technique (ITB) pour réaliser en 2021 des travaux qui apporteraient des éléments nouveaux à l’Anses pour lui offrir la possibilité de modifier son avis. Celui-ci s’est entouré de partenaires reconnus pour travailler sur trois axes ; le premier était de mesurer la fréquence de visite des pollinisateurs dans différentes cultures avec Arvalis (maïs, lin, pommes de terre) et Unilet (pois) ; le second était de mesurer des résidus de NNI en N+1 et N+ 2 (maïs, colza, pois) après betteraves NNI au Danemark avec l’Institut NBR (Nordic Beet Research) ; le troisième était de compléter les deux demandes d’atténuation de 2021 avec Arvalis (maïs) et Terres Inovia (colza).
L’ITB et ses partenaires ont pris les précautions préalables de valider ces protocoles avec l’ITSAP, puis de les présenter à l’Anses pour les soumettre à une critique constructive, et de choisir un laboratoire agréé par l’Anses pour effectuer les recherches d’éventuels résidus. Une fois ces précautions validées, les travaux se sont déroulés au printemps et en été 2021, et les résultats ont été communiqués à l’Anses le 15 septembre dans un rapport préliminaire. Les compléments de résultats furent ensuite communiqués au fur et à mesure de leurs obtentions. À ce jour, de nouvelles données techniques et scientifiques sont entre les mains de l’Anses pour lui permettre de modifier ses avis sur l’ensemble des cultures concernées.
Nous avons pris connaissance le 18 décembre des réponses de l’Anses aux saisines ad hoc, apprécié que l’agence ait rendu un avis sur les cultures oubliées dans la dérogation de 2021, et noté avec satisfaction qu’il est possible de semer du soja ou des haricots en année N+1. En revanche, la filière s’étonne qu’aucune culture des autres saisines n’ait pu voir modifiée son année d’autorisation en succession culturale, comme :
– Pour la pomme de terre, les comptages de visite des pollinisateurs dans cette culture sont beaucoup plus proches de ceux des céréales (cultures non attractives) que de ceux d’autres plantes à fleurs : cela n’a-t-il aucune incidence sur l’évaluation ?
– Pour le lin, au-delà de la fréquence, il y a également la durée de la visite, et elle est d’autant plus courte que la fleur de lin est éphémère (quelques heures quotidiennes pendant quelques jours). Le risque de perturbation des pollinisateurs ne serait-il pas proportionnel également à la quantité potentiellement ingérée, le cas du lin étant typique : cela n’a-t-il aucune incidence sur l’évaluation ?
– Pour l’ensemble des cultures concernées en N+2 et N+3, la réduction de dosage de 25 % des NNI à partir de 2021 n’a pas été prise en compte dans le score de la grille de l’ITSAP, laquelle avait été construite sur les anciennes bases de dosage ; si l’Anses s’est bien appuyé sur la grille d’exposition de l’ITSAP pour définir une grille de risque pour les pollinisateurs, nous attendions une évolution de la classification des cultures par année d’autorisation au prorata ; sinon, pourquoi avoir pris le risque de baisser le dosage, si ce n’est pour la santé des pollinisateurs : cela n’a-t-il aucune incidence sur l’évaluation ?
Conséquences agricoles, économiques et environnementales
Cette classification des cultures dans une année qui ne correspond pas à leur place habituelle dans la rotation culturale, entraînera des conséquences à différents niveaux, à la fois agricoles, économiques, mais aussi environnementaux, l’année en cours mais également sur les 3 années concernées par les contraintes culturales, soit jusqu’en 2025. Bien sûr, chaque planteur est unique, et a son environnement pédoclimatique et économique qui lui est propre, selon la qualité de son parcellaire, selon les acheteurs avec qui il peut contracter, selon la richesse du tissu agroalimentaire qui l’entoure ; et les choix qui seront pris seront différents d’un individu à l’autre. Mais il est prévisible que deux grands choix principaux s’offriront aux 22 000 planteurs, et parmi eux, beaucoup s’y retrouveront :
1 – Reculer d’une année l’implantation des différentes cultures retenues dans la rotation pour utiliser en 2022 (comme en 2021) les NNI en protection de leurs betteraves contre les Jaunisses Virales !
Les premières conséquences prévisibles seront sur le plan agronomique, et elles seront antagonistes aux demandes sociétales. Ce sera une augmentation de la monoculture des céréales qui s’accompagnera :
– D’une diminution de la biodiversité des assolements,
– D’une diminution du bol alimentaire des pollinisateurs, en reportant la culture de plantes à fleurs.
Les autres conséquences attendues seront sur le plan économique :
– Par une baisse des surfaces contractées avec les industriels transformateurs, qui impactera la rentabilité de leurs outils et la régularité de production des différentes filières (pois, colza, lin et pommes de terre).
– Par une baisse du chiffre d’affaires de l’exploitation agricole, en remplaçant une culture à plus forte valeur ajoutée par une céréale classique.
2 – Agir sur son choix betteravier pour ne pas modifier son futur assolement !
a) – Soit en ne retenant pas les NNI comme base de protection insecticide, avec le double risque de :
– Pour le planteur, de subir l’impact d’une potentielle jaunisse virale en 2022, et constater la baisse de son revenu betteravier en l’absence de solution alternative efficace,
– Pour le fabricant, de réduire la durée de campagne de ses usines par une baisse de son approvisionnement, et ainsi de réduire d’autant sa marge financière, avec un impact négatif sur le prix d’achat de la betterave.
b) – Soit en baissant sa surface betteravière, voire en supprimant la culture de la betterave de son assolement, pour ne pas prendre le risque possible d’un très mauvais rendement, augmentant ainsi le risque collectif d’une fermeture d’usine par manque de matière première.
Je remercie les Ministres de l’Agriculture et de la Transition Écologique d’avoir pris la décision de proposer un projet d’arrêté autorisant l’utilisation de NNI en semences de betteraves pour la campagne 2022, mais il me semble qu’une évolution de l’autorisation de certaines cultures pour raccourcir la contrainte d’une année est possible, souhaitable pour l’économie de plusieurs filières, dont celle de la betterave sucrière, sans faire courir de risques quantifiables aux pollinisateurs, domestiques ou sauvages.