La cercosporiose devient de plus en plus difficile à maîtriser, en particulier les années où le climat lui est favorable, comme en 2017 et 2018. Ces années de forte pression ont confirmé les pertes d’efficacité des fongicides, notamment des matières actives strobilurines, dans les parcelles de betteraves. L’année 2017 a nécessité une demande de dérogation de 120 jours pour un produit à base de cuivre (produit à mode d’action multisites). Cette dérogation a été réitérée les années suivantes. L’émergence de souches résistantes de C. beticola pouvait constituer une explication aux baisses d’efficacité observées en pratique, les premiers cas de résistance ayant été détectés il y a une douzaine d’années, aux États-Unis pour les triazoles, et en Europe pour les strobilurines. Face aux difficultés croissantes rencontrées pour contrôler la maladie et à la diminution progressive de la diversité des molécules autorisées, notamment des triazoles, l’ITB a souhaité, avec l’Inrae et l’Anses, réaliser un état des lieux des résistances à plusieurs modes d’action des populations de C. beticola, agent de la cercosporiose. En 2019 et en 2020, un total de 144 prélèvements de feuilles présentant des symptômes de cercosporiose ont été réalisés par les équipes de l’ITB, répartis sur l’ensemble des régions betteravières françaises pour prendre en compte la diversité géographique des souches (figure 1).
Sensibilité des populations aux strobilurines
Le résultat de cette étude montre qu’en France, la résistance aux strobilurines est présente dans la totalité des échantillons testés et cette résistance est toujours forte. Ces observations expliquent très probablement les performances faibles déjà visibles dans les parcelles de betteraves depuis quelques années (cf. le cahier technique du Betteravier français N°1130).
Les triazoles
Concernant les triazoles, la résistance est associée à plusieurs mutations. D’autres mécanismes encore inconnus sont également mis en œuvre sur les souches résistantes. Des tests biologiques de croissance mycélienne ont permis de calculer les CI50 associées à chaque souche, et pour chaque matière active fongicide, c’est-à-dire la concentration de substance active à laquelle la croissance du champignon est inhibée de 50 % en comparaison du témoin (figure 2). Certaines souches très résistantes à une ou plusieurs triazoles ont été observées (figure 3). Les résultats montrent également que la majorité des souches présentent une résistance croisée entre les différentes triazoles (une souche résistante à un fongicide a de grandes chances d’être résistante à un autre fongicide). Néanmoins, la proportion de spores résistantes au sein d’une population (mélange de spores présentes sur un lieu de prélèvement) est variable suivant les substances actives. Ceci suggère que la performance des spécialités fongicides peut varier localement selon la structure des populations.
Par l’analyse des tests biologiques, on peut calculer pour chaque population un facteur de résistance, qui distingue trois catégories : facteur de résistance inférieur à 30, facteur de résistance supérieur à 30 et, enfin, un facteur de résistance supérieur à 100. Lorsque le facteur de résistance est faible, cela signifie que la population est faiblement résistante. Concernant la molécule difénoconazole qui est la triazole la plus utilisée en fongicide betterave, les résultats de ce projet montrent que sur 113 populations testées, en moyenne 26,7 % des spores testées présentaient un facteur de résistance supérieur à 100, 37,6 % un facteur entre 30 et 100 et 36,2 % inférieur à 30 (figure 4).
Un test similaire avec la matière active tétraconazole, également très utilisé en betterave, montre que sur 115 populations testées avec cette molécule, en moyenne 46,1 % des spores testées ont un facteur de résistance supérieur à 100, 31,3 % entre 30 et 100 et 23,4 % inférieur à 30 (figure 5)
Pour ces deux triazoles, la résistance peut être considérée comme généralisée (pas de souches sensibles détectées) mais la structure des populations peut varier selon les populations : ceci est le reflet de l’historique de traitement appliqué localement. Suivant la molécule triazole utilisée, l’efficacité sur le terrain peut donc potentiellement différer. Il n’y a pas de distinction géographique dans ces résultats.
Conclusion
La résistance est une réponse évolutive des populations et elle est donc liée à la pression de sélection des traitements fongicides. Lorsqu’un mode d’action est utilisé chaque année et plusieurs fois dans la même parcelle (ce qui correspond à une pression de sélection monotone), le risque d’augmenter la proportion d’individus résistants est fort.
Ce projet a permis de réaliser un état des lieux des résistances aux différents modes d’action fongicides en France, pour les années 2019 et 2020. Des essais seront réalisés au champ en 2022 afin d’évaluer les effets de ces résistances détectées en laboratoire sur l’efficacité en conditions réelles. Cela devrait permettre de conseiller aux agriculteurs des stratégies de lutte adaptées, efficaces et durables contre la cercosporiose.
*Inrae : Institut national de la recherche agronomique.
** Anses : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
La résistance aux strobilurines est généralisée et de forte intensité.
La résistance aux triazoles est généralisée mais son intensité varie suivant la molécule utilisée et l’isolat concerné.
La majorité des isolats montre une résistance croisée entre les différentes triazoles.
Baisser la pression de sélection en alternant les modes d’action, quand cela est possible, permet de réduire le risque du développement de la résistance.