C’est en 2015, suite au gel tardif de ses blés et à la perte de 50 % de sa récolte, que Michel Chambrillon a pris conscience de sa « vulnérabilité ». Il décide alors « de ne plus mettre tous ses œufs dans le même panier ». Il va ainsi déployer toute une palette de services qui lui ont fait rejoindre le club des 15 % d’agriculteurs double actifs. Dans son cas, on peut même parler de multi-activité.
L’accident climatique — et économique — qui a affecté Michel Chambrillon en 2015 l’a confirmé dans sa recherche de diversification, amorcée dès la reprise de la ferme familiale.
Maîtriser ses charges avant tout
Le jeune garçon de la ville qu’il était passait ses vacances dans la ferme de son oncle paternel à Marigny-le-Châtel, dans le département de l’Aube, et c’est là qu’il a contracté le virus de l’agriculture. Un BTSA en productions végétales plus tard, décroché à l’école d’agriculture de Sainte-Maure, le voici intronisé dans un milieu dont il n’est pas originaire. D’où, d’ailleurs peut-être, une approche de son métier parfois différente de celle des « natifs », moins patrimoniale, moins attachée à la terre, mais davantage portée sur la gestion et la « maîtrise des charges », son « ADN », à la manière d’un chef d’entreprise. Michel Chambrillon ne cache pas que monter sur un tracteur n’est plus très stimulant, intellectuellement parlant, pour lui. « J’ai l’impression de tourner en rond », explique-t-il. Aujourd’hui, le quinquagénaire, qui n’a pas de salarié, confie les semis, le travail du sol et les traitements à un prestataire. « Je ne vais plus guère dans les champs que pour la récolte », précise-t-il. Il a réduit en conséquence le matériel qu’il possède au strict minimum : un tracteur, une benne et, tout de même, une herse étrille. Il affirme au passage avoir gagné en qualité de vie. Et, de toute façon, il ne peut plus se consacrer à l’agriculture proprement dite à plein temps.
Redonner du sens à son métier
Car Michel Chambrillon mène aujourd’hui de front plusieurs activités. Passons sur son gros projet de poulailler, de 12 000 poules pondeuses en bio, qu’il avait conçu pour « atteindre l’autonomie en engrais » grâce à la récupération des fientes, mais tombé à l’eau dans un contexte de crainte de surproduction. Ces trois ans de travail réduits à néant ont généré chez lui beaucoup de « frustration », mais ont laissé intacte sa volonté d’entreprendre. Passons aussi sur l’échec de son second projet d’agrandissement de l’exploitation (une dizaine d’hectares supplémentaires), qu’il cherchera justement à compenser par un surcroît de diversification et par la création de valeur.
En 2019, il intègre le réseau Agrikolis, qui permet aux particuliers de venir récupérer leurs gros colis à la ferme : clôtures, spas, appareils électroménagers, granulés de bois, etc. Le revenu qu’il en tire est « plutôt symbolique », de l’aveu même de l’agriculteur, mais ce service lui donne de la visibilité et draine une clientèle susceptible de découvrir son activité de vente à la ferme de produits pour animaux.
C’est un business qui a crû en volume de 10 à 15 % par an au cours des dernières années, au point d’inciter l’exploitant à lancer il y a deux ans sa propre marque, Les Graines de Michel. Elle a pour vocation de vendre toute une gamme de graines et de mélanges de graines, issus de la ferme, destinés à l’alimentation des poules, lapins et autres oiseaux, ainsi que du foin et des litières pour rongeurs et animaux de la basse-cour. Elle propose aussi des bouchons de luzerne ou de pulpe de betteraves issus de la coopérative de déshydratation Capdéa. Les Graines de Michel commercialisent également des lentilles vertes et des farines de blé pour la consommation humaine, ainsi que, depuis peu, une gamme de croquettes pour chiens et chats haut de gamme. Son best-seller reste toutefois la graine de blé, seule ou en mélange, dont il écoule 25 tonnes par an, soit environ 9 % de sa production de blé.
Michel Chambrillon se plaît à dire que la vente directe lui permet à la fois de « valoriser une partie de (sa) production, de maîtriser (ses) prix, de redonner du sens à (son) métier et de réconcilier les gens avec l’agriculture » grâce au contact établi avec le grand public. Un site Internet dédié a été ouvert pour leur permettre de passer commande, en complément d’autres plateformes comme Leboncoin. L’agriculteur envisage aussi d’installer un distributeur automatique. La vente directe représente aujourd’hui de 15 à 20 % de son chiffre d’affaires.
Se préparer une rente
Michel Chambrillon a pris en parallèle un job d’auditeur pour le compte de la multinationale suisse SGS. Il réalise entre 50 et 70 audits de conformité réglementaire par an auprès des distributeurs et des applicateurs de produits phytosanitaires. « Cela m’a ouvert l’esprit, se félicite-t-il, et permis de découvrir des univers que je ne connaissais pas, comme la viticulture et la grande distribution ».
En bon gestionnaire, il s’est aussi converti aux énergies renouvelables. Outre le tracker solaire destiné à son autoconsommation, il a couvert la moitié de son hangar de panneaux photovoltaïques, dont la production d’électricité est intégralement revendue. Une fois l’installation amortie, elle lui assurera une rente de 1 000 euros par mois, de quoi améliorer grandement l’ordinaire du futur retraité. Michel Chambrillon a reçu en mars dernier « l’étoile de l’agriculture entrepreneuriale résiliente » décernée par le collectif Terres&Vignes de l’Aube et la chambre d’agriculture.