« La France compte 1 400 espèces de flore et 700 espèces de faune recensées « exotiques », présente Pauline Lebecque, conseillère biodiversité à chambre d’agriculture des Hauts-de-France. Parmi ces espèces animales, il s’agit surtout d’invertébrés, principalement des hétéroptères (pucerons et cochenilles). Parmi ces derniers, beaucoup sont invasifs, c’est-à-dire que ces espèces, introduites volontairement ou fortuitement par l’homme sur un territoire, représentent une menace pour les écosystèmes. Vu leur capacité à investir un territoire, les évolutions sont rapides. L’obolodiplosis robiniae, par exemple, parcourt 700 km en 5 ans !
Avec l’augmentation des échanges et le réchauffement climatique, ce phénomène s’accroît. Depuis 1959, la température moyenne des Hauts-de-France augmente de 0,3 °C toutes les décennies, rappelle la scientifique. Le nombre de jours de gel a diminué de 30 %. Celui des jours à + 25°C a doublé. Et la pluviométrie, si elle reste constante sur l’année, a des épisodes plus violents. Avec une augmentation des températures prévue à plus d’un degré entre 2021 et 2050, (+ 2°C entre 2041 et 2070 selon la plateforme Drias), les agriculteurs vont devoir s’habituer aux nouvelles espèces de pucerons et de cochenilles !
Des pucerons, plus au nord, plus précoces et plus reproductifs
Pour les pucerons, 20 % de nouvelles espèces ont été découvertes en 30 ans. Plus de 8 % des espèces européennes de pucerons sont d’origine exotique, introduites par l’importation, notamment de plantes ornementales, principalement en provenance d’Afrique et d’Asie.
« Nous constatons un développement de l’aire de répartition de certaines espèces d’insectes vers le nord. Cela suit aussi l’aire de répartition des plantes hôtes. Autre constat : les vols de pucerons sont de plus en plus précoces, avec un gain de 2,5 semaines en moyenne en 40 ans », constate l’entomologiste.
De plus, les pucerons se multiplient plus rapidement. Ils obtiennent un gain de cinq générations par an en moyenne suite à une augmentation de 2°C. Enfin, l’absence de régulation par le froid lors des hivers rigoureux (moins 5°C) et le redémarrage au printemps plus rapide accentuent encore leur développement. Sur les pommes de terre, par exemple, les vols de pucerons sont de plus en plus précoces et intenses avec les canicules.
Beaucoup de reproductions par clonage
La multiplication des pucerons se fait de plus en plus rapidement, notamment par clonage, sans passer par la reproduction sexuée. Le potentiel de reproduction est exponentiel avec les gains de générations annuelles.
Certains pucerons ont un cycle de reproduction complet (les holocycliques). Ils alternent une reproduction parthénogénétique (sans fécondation) et une reproduction sexuée, donnant naissance à l’œuf d’hiver. Cet œuf d’hiver peut résister jusqu’à des -35°C. Cette reproduction assure un brassage génétique avec la reproduction sexuée. Mais le démarrage au printemps est plus lent.
Pour les anholocycliques, c’est l’adulte qui assure le passage de l’hiver. La résistance est variable, mais moindre (environ -5°C). L’absence de reproduction sexuée ne permet pas de brassage génétique. Par contre, ces pucerons ont un démarrage d’activité beaucoup plus rapide au printemps.
Des prédateurs désynchronisés
Si les ravageurs de culture comme les pucerons se développent, qu’en est-il des prédateurs ?
L’évolution climatique pourrait favoriser le développement d’hyménoptères parasitoïdes, explique l’entomologiste. Par contre pour les chrysopes, autres auxiliaires de culture précieux, plus les températures augmentent, moins elles consomment de pucerons. Ce prédateur perd de son efficacité si les températures augmentent.
L‘introduction des espèces de régulateurs naturels pourrait apparaître comme une solution. Mais, elle reste très dangereuse. Ainsi la coccinelle asiatique introduite par nos voisins belges est aussi une cannibale de notre coccinelle autochtone à sept points et elle concurrence sa nourriture. Au final, l’espèce introduite est dangereuse pour un autre régulateur.
Les agriculteurs n’ont pas fini d’entendre parler de pucerons…
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Informations issues du colloque organisé par le BSV et la Fredon au Paraclet le 15 septembre
Les changements sont déjà notables pour les insectes prédateurs en culture légumière, note Marie Bernard, de la Fredon. Les altises des crucifères, ravageurs des choux, navets, radis, se développent en grignotant les feuilles. Préjudiciables pour les crucifères, ils transportent de nombreux pathogènes et engendrent la mort de pieds. Leur température idéale est de 15 à 27 °C. En revanche, les températures très élevées régulent un peu les populations.
Les aleurodes du chou (chou-fleur ou de Bruxelles) arrivent aussi plus tôt dans les parcelles. En cas d’hiver sans gel, leur population croît plus rapidement.