La chasse « à la botte » plaît aux amateurs de billebaude. On ne sait jamais ce que l’on va découvrir en s’engageant dans les joncs. Il faut un chien de marais sage et bien dressé, c’est-à-dire faisant vraiment équipe et devinant vos intentions au moindre geste. On peut opter, au choix, pour un labrador, un springer, ou un chien d’arrêt rustique comme le griffon Korthals. Certains diront que le labrador ne doit pas lever le gibier, que les Anglais le dressent uniquement comme chien de rapport. Les Anglais ont beaucoup de qualités. Ce sont les inventeurs du « fair-play », et du « noble art » que sont la pêche à la mouche et la boxe, ils ont dessiné la fabuleuse Jaguar type E, découvert la cordite, le timbre postal, le linoléum et bien d’autres choses encore. Mais ils ont l’inconvénient d’être rigides. En particulier ils n’entendent pas Sacha Guitry quand il dit « appuyez-vous sur les principes, ils finiront bien par céder ». Pourquoi enfermer le labrador dans un rôle ? Ce chien intelligent peut tout faire. On l’utilise aussi bien pour l’assistance aux handicapés visuels et physiques que pour repérer les victimes d’avalanche, trouver des truffes ou détecter la drogue dans les aéroports. Et donc si vous lui lâchez la bride, il devient très vite un remarquable chien « broussailleur », plus malin que le springer. Et plus docile que le Korthals, dont la mentalité prussienne exige une main de titane dans un gant d’acier.
L’avantage du labrador c’est que le rapport sera impeccable, puisque cet exercice est inscrit dans ses gènes. Les épagneuls picards, de Pont-Audemer ou français, voire des bretons de grande taille et sages, font également de très bons chiens de marais.
Le chasseur à la botte recherche en priorité certains becs plats : colverts, souchets, sarcelles d’hiver. Les pilets et les chipeaux, canards de surface eux aussi, se rapprochent plus rarement des bordures. Il faut marcher doucement, éviter de « clapoter » dans les mares, et avoir un chien à la quête suffisamment courte pour que le gibier ne file pas au diable.
Le colvert peut évoluer en petits groupes ou en bandes importantes ; mais quand il se remise dans les joncs, c’est généralement dans l’intimité. On tire à courte distance et le plomb n° 7 sera une munition parfaite. « Petit plombiste » je suis, « petit plombiste » (*) je reste…
Halbrans !
Cette chasse à la botte se pratique en toutes saisons, car, suivant les changements de température, les lunes, les sautes brusques du vent au nord ou à l’est (ou au contraire certains réchauffements de l’atmosphère), le chasseur peut se trouver devant des « arrivages ». Un marais désert peut devenir grouillant d’oiseaux en une nuit.
Attention à la glace : c’est un piège mortel ! En allant chercher une pièce, le chien s’engage. Si la glace cède sous ses pattes, il est perdu. Il ne peut pas remonter et finit par se noyer à l’issue d’une agonie où il aura longuement hurlé à la mort. Des instants terribles pour le chasseur, qui assiste impuissant à ce drame. Quand l’étang est pris, le chien doit rester à vos pieds. J’ai encore le souvenir, dans ma jeunesse, d’avoir été chercher mon labrador tombé de la glace au milieu de l’étang. J’avais pu le récupérer, en cassant la glace, avec de l’eau à la taille. Sur le moment on ne sent pas le froid, après c’est autre chose …
La chasse « à la botte » est toujours séduisante dans la mesure où l’on ne sait jamais quel gibier va surgir. Le chien va et vient dans les joncs, les massettes et les carex. Soudain, c’est l’envol : une paire de colverts, une sarcelle, une foulque, une bécassine, un chevalier aboyeur, dit « pied vert » qui s’en va en lançant ses trois notes flûtées. Charmante incertitude.
Efficace l’hiver, cette quête l’est peut-être encore plus l’été au moment de l’ouverture des halbrans. Les jeunes canards sont en effet moins farouches que les vieux et se laissent plus facilement approcher. Ils ont aussi l’avantage de revenir se poser rapidement, ce qui multiplie les chances. Le halbran vole parfaitement. Son plumage est d’un brun uniforme pour les mâles comme pour les femelles.
« Au bout du fusil »
Pour chasser l’été, inutile d’enfiler des cuissardes. Une bonne paire de « tennis » suffit. L’eau n’est pas froide. Elle est même tiède. Et on se décrassera facilement à la maison en se passant les jambes au tuyau d’arrosage. Côté munitions on peut descendre d’un cran. Le 7 1/2 est parfait pour le halbran.
L’idéal est de chasser le matin avec une « levée d’étang » et en fin d’après-midi « à la botte » qui sera éventuellement suivie d’une « passée du soir ». Les jeunes canards se sont, en effet, égayés un peu partout dans le marais et on les lève un peu comme des cailles. Blessé, le canard plonge. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas hésiter à « doubler » sur l’eau. Pour retrouver le gibier au milieu des nénuphars, le chien rend de grands services, même si l’odeur puissante de la menthe et des plantes aquatiques l’égare parfois.
Les halbrans doivent se consommer « au bout du fusil » car leur chair passe vite. Il est d’ailleurs conseillé de les vider sur place si la température est trop chaude.
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(*) À la chasse, on est soit « petit plombiste » portant son choix sur des munitions comme le 7 ou le 8 ; soit « gros plombiste » c’est-à-dire penchant davantage vers le 6 et le 4.
Rappelons que le plomb est désormais interdit au marais. Mais « petit aciériste » ou gros « aciériste » sonne mal.