Après plusieurs années de baisse, pourquoi la faim est-elle de retour dans le monde ?
La guerre en Ukraine succède à trois années difficiles sur le plan alimentaire pour les pays en développement. Les confinements, à partir de 2020, ont porté à 1 milliard le nombre de victimes de la faim, qu’elle soit chronique (malnutrition, conséquence de la pauvreté) ou aiguë (famines, conséquence de la prédation et des conflits). Les famines du Yémen, de la Syrie, du Soudan du Sud, de l’Afghanistan, de la corne de l’Afrique (Somalie, Éthiopie), etc., toutes dues à la guerre, sont aggravées par la précarité de populations victimes de la dégradation de leurs écosystèmes, qui ont décapitalisé, et ne voient plus que la migration pour s’en sortir.
Aux conflits, au manque de moyens des campagnes pauvres, s’ajoute la dépendance des villes envers leurs importations alimentaires. Le prix de la nourriture, qui représente près des deux tiers du budget des ménages pauvres, fait descendre les citadins dans la rue, provoquant des révoltes, durement réprimées. L’inflation mondiale, le « weather market » et la politique d’approvisionnement de la Chine ont aggravé la situation : les routes de la soie sont d’abord les routes des estomacs.
Le conflit de la mer Noire affecte directement l’approvisionnement de tous les pays pauvres qui avaient choisi de se tourner vers la Russie et vers l’Ukraine (30 % des exportations mondiales de blé, 20 % de maïs, 80 % d’huile, plus des fertilisants essentiels). Le blocage des ports n’a pu être que très partiellement compensé par les exportations ferroviaires et routières, engorgeant les pays européens d’accueil qui n’auraient dû être que des pays de transit. Depuis cet été, la Russie, qui veut vendre sa bonne récolte de blé, a décidé de détruire le potentiel d’exportation de l’Ukraine en bombardant systématiquement ses ports, y compris ceux du Danube.
L’Europe se fourvoie-t-elle ?
La politique actuelle de l’Europe consiste à vouloir produire moins pour se verdir, multipliant les contraintes pour ses agriculteurs (interdiction des phytos mais aussi du recours au génie génétique, diminution des terres cultivées et des fertilisants…). C’est suicidaire ! La France a encore le privilège de faire partie des rares pays exportateurs de céréales, de sucre, de produits laitiers. Elle approvisionne le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, dont la paix sociale est conditionnée par l’accès à la nourriture, comme le montre l’hémorragie tunisienne, et reste une grande puissance agricole, première exportatrice mondiale de semences, nerf de la guerre alimentaire. Il faudrait tout mettre en œuvre pour préserver son potentiel de production : selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations-Unies (FAO), nous aurons besoin de 3,4 milliards de tonnes de céréales en 2050 (contre 2,8 aujourd’hui). La nouvelle classe moyenne, 160 millions de personnes en plus chaque année, est avide de produits transformés et de protéines nobles. L’humanité a faim de lait, de poulet, de sucre et de maïs, première céréale mondiale, qui produit beaucoup sans épuiser les sols et en captant une quantité record de carbone, nourrissant autant les pauvres du monde que les riches, grâce à la viande, aux œufs et au lait, qui ne sont souvent que du maïs transformé. L’arme alimentaire est plus présente que jamais !
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