Quelle curieuse odyssée ! Rien en vérité ne prédisposait Hubert à devenir un saint homme. Né en 656, il aurait d’abord passé une partie de sa jeunesse dans les Ardennes, chez le duc Pépin d’Héristal. Délaissant les saints offices, ardent et jovial, libertin peut-être, il chasse de l’aube au crépuscule. Selon la légende, ce comportement ne plaît pas à Dieu qui « voulant en faire une des plus brillantes lumières de son église le retira des embarras du siècle d’une manière extraordinaire ».

C’est le moins que l’on puisse dire ! Chassant un jour dans une grande forêt et alors que le cerf est sur ses fins il surgit brusquement devant son poursuivant. Ce n’est pas un cerf ordinaire. Il porte une croix lumineuse entre les bois. Sidéré, Hubert arrête son cheval et entend alors une voix divine lui dire « Hubert, Hubert, jusqu’à quand poursuivrez-vous les bêtes des forêts et vous amuserez-vous aux vanités du monde ? » Hubert tombe à genoux, bredouille, fait repentance. Le voilà libéré « des vanités du monde ». Puis il se rend, comme Dieu le lui a indiqué, chez l’évêque Lambert pour s’assagir et suivre des cours de rattrapage spirituel. Ensuite il devient moine, ou au moins ermite, et se retire dans les bois quelques années, lorsqu’un ange lui apparaît et lui enjoint d’aller voir le pape à Rome. Alors qu’il chemine, son coach spirituel, Lambert, évêque et futur saint, est assassiné. Le poste est vacant. Un ange chuchote au pape que son successeur est tout trouvé : ce sera Hubert qui, justement, est en route. Une fois chez le Saint-Père, l’ancien chasseur, pétri d’humilité, commence par refuser la charge mais, dans une nuée dorée, surgissent encore des anges qui lui tendent l’étole épiscopale. Mieux : Saint Pierre apparaît en personne et lui remet une clé d’or aux pouvoirs magiques. Manque de confiance en soi ? Mauvaise utilisation de la clé ? Sujets récalcitrants ? Saint Hubert ne réussira pas de grands miracles, en tout cas il n’est pas connu pour cela. À son retour de Rome, le nouvel évêque transporte le corps de son prédécesseur, Lambert, de Maastricht à Liège et devient le premier évêque de Liège. Il meurt en 727 à 71 ans. Enseveli à Liège, son corps sera transporté, en 825, à l’Abbaye d’Andage ou d’Andain aujourd’hui Saint Hubert d’Ardenne (Belgique).

Deux protocoles

Mais ce qu’il n’a pas réussi de son vivant Hubert va l’accomplir après sa mort. En s’y prenant bien avec les vêtements du disparu on pourrait en effet guérir la rage. C’est ce qu’explique Henri Gaidoz, fin lettré du XIXe siècle, dont l’ouvrage vient d’être réédité par les éditions Montbel*. Avant que Pasteur, en 1885, ne trouve enfin un remède efficace, la rage était vécue à juste titre comme un fléau. Personne n’en réchappait. Les malades mouraient dans des souffrances atroces. On pouvait les euthanasier par trois moyens : les étouffer sous un oreiller, les saigner au bout de chaque membre, les empoisonner avec des grains d’opium. Le premier, économique, était destiné aux miséreux, le second aux classes moyennes et le troisième aux plus fortunés.

Donc, après la disparition du saint homme certains chanoines font valoir que des fibres de son étole peuvent être utiles contre la maladie en général et la rage en particulier. Ils mettent au point un traitement. Il faut d’abord faire le pèlerinage à l’Abbaye. Ensuite, il y a deux protocoles : « la taille » et « le répit ». La « taille » serait efficace contre les morsures « à sang » c’est-à-dire les morsures profondes de loup ou de chien enragé. On incise la peau du patient et on glisse dedans une fibre de l’étole.

Pour « le répit » – qui peut aller jusqu’à 99 ans – un attouchement au front avec une particule de l’étole suffit. Ce dernier traitement est réservé aux enfants et aux patients les plus légèrement touchés (morsure légère). Les gestes techniques ne suffisent pas à apporter la guérison. Le patient doit veiller à bien cocher sa « feuille de route ». Par exemple, il doit « coucher seul en draps blancs et nets », « manger de la chair froide d’un porc âgé d’un an ou plus », « ne pas peigner ses cheveux pendant quarante jours », « boire du vin mêlé avec de l’eau », « ne pas tailler sa barbe pendant neuf jours ». Et bien sûr beaucoup prier, communier et se confesser.

Pas de statistiques de guérison

Est-ce que ce traitement donnait des résultats ? C’est évidemment la question que l’on se pose. Malheureusement, Henri Gaidoz se défausse : « le lecteur n’attend pas de nous que nous fassions la statistique des guéris et des non guéris parmi ceux qui ont obtenu la taille ou le répit. Nous n’en avons pas les éléments ». Dommage…
L’étonnant est qu’après la découverte du vaccin par Pasteur les enragés continuent à se rendre à l’Abbaye pour « se faire tailler ou obtenir le répit. » En 1886 un an après la découverte du vaccin la patronne d’un hôtel local indique à l’auteur que ce sont surtout les gens des pays Flamands qui viennent se faire « tailler ». Les gens de Bruxelles « vont plutôt au Pasteur à Paris ».

Il faut lire ce livre passionnant sur le Saint, la rage et les superstitions. Et qui nous rappelle au passage que Saint Hubert mériterait autant d’être le patron des anti-chasse que celui des chasseurs. N’a-t-il pas renoncé à sa passion ?

ÉRIC JOLY


* Saint Hubert sa légende, son culte et son action contre la rage. Par Henri Gaidoz (Montbel) Prix : 25 €.