Ce médecin a laissé une œuvre cynégétique et naturaliste considérable. Il passa autant de temps à ausculter les animaux avec son crayon et ses pinceaux que les hommes avec son stéthoscope.

Pas un chasseur qui, en voyant ce capucin « rasé » devant des chiens hésitants, ne pense immédiatement : « c’est ça ! ». Joseph Oberthur avait l’œil « photographique » !

« Je ne suis pas un savant, mais j’ai toujours vécu dans un milieu de naturalistes et j’ai observé avec passion », disait-il volontiers quand on le lui faisait remarquer. Chasseur enthousiaste, ce grand artiste l’était, mais cette passion ne s’est jamais exercée au détriment de ses qualités d’observation et d’un certain recul scientifique.

Né en 1872, il passa sa vie à dessiner et à peindre. Fils et petit-fils d’imprimeurs « écologiques » avant l’heure, il est entouré dès l’enfance de savants du monde entier avec lesquels son père et son oncle, grands collectionneurs de papillons et de coléoptères, entretiennent des relations suivies. Doué pour le dessin, il commence à noircir des carnets dès l’âge de dix ans. Très vite, il réalise une « histoire naturelle des oiseaux bretons », intéressants « lavis » à la facture un peu japonaise. Il passe son adolescence à Rennes, dans le beau parc de ses parents, situé à l’époque à la campagne et aujourd’hui en plein centre-ville. Le Parc Oberthur est désormais un espace public. En 1880, Joseph y chassait, et se souvient même y avoir tué une loutre ! Quand il abandonne le fusil, c’est pour peindre ou dessiner. Gaucher mais se servant aussi de la main droite, il utilise le crayon, l’aquarelle, la gouache, l’huile sur des supports variés : papier, toile, mur. Chasseur dans l’âme, l’artiste veut connaître toutes les facettes de son sport. Ayant accompli son service militaire au 13e bataillon de chasseurs alpins de Chambéry, il en profite pour s’initier à la chasse au gibier de haute montagne. Par la suite, il se familiarise aussi avec celle du gibier d’eau et du gibier marin et défend avec acharnement les chasses traditionnelles, notamment la chasse à l’alouette au filet ou les fameuses « tenderies aux grives » des Ardennes.

Faut-il sacraliser l’animal ?
Étude de cailles des blés ©Eric Joly

Une curiosité insatiable

Durant la seconde guerre mondiale, conscient du trésor amassé, il évoque dans une lettre « tous ses carnets de croquis, résultat de 40 années de chasse à courre et à tir et des centaines de dessins et d’aquarelles, documents d’après nature d’animaux et de paysages dont la perte serait irréparable ». Il excelle dans le dessin au crayon et l’aquarelle. Il maîtrise moins l’huile qui verse parfois dans le chromo.

Étonnant dilettante qui trouve également le temps d’assurer, à Paris, la direction d’une clinique neurologique réputée et garde un pied dans l’imprimerie familiale !

Si toutes les facettes cynégétiques l’intéressent, la chasse à courre a sa préférence. Il court le sanglier avec ses griffons fauves de Bretagne et ne rate jamais une occasion de chevaucher dans les forêts du Val de Loire. Ses qualités d’observation et son coup de crayon font de ses planches de précieuses études sur la vie animale. Antoine Reille, écologiste réputé, notait dans la plaquette réalisée pour une exposition des œuvres de l’artiste au musée de Gien : « il est remarquable que quelqu’un ose écrire, à l’époque, que le cerf ne prenait pas forcément un andouiller de plus après chaque mue. Et les croquis qu’il put réaliser d’après nature sur des massacres (bois du cerf) n’ont certainement pas été suffisamment utilisés par les universitaires pour suivre le développement de la ramure des cervidés ».

Sa curiosité est insatiable et son carnet de dessin toujours à portée de main. Il écrit aussi très agréablement et ses livres, loin d’être ennuyeux, contiennent quantité d’histoires de chasse, d’anecdotes et de souvenirs amusants.

Faut-il sacraliser l’animal ?
Bécassines ordinaires ©Eric Joly

Des prix abordables

Quand il s’éteint en 1956, dans sa propriété de Cancale, Joseph Oberthur laisse une œuvre considérable. C’est d’abord l’extraordinaire collection « Gibiers de notre pays » , publiée en 7 volumes de 1936 à 1961. Un livre réédité à plusieurs reprises et dont le succès ne se dément pas.

C’est ensuite « Le monde merveilleux des bêtes » – en 12 volumes – où l’auteur décrit avec talent… Les dinosaures, avant de s’intéresser aux « Géants de la brousse et de la forêt » aux « Grands fauves et autres carnassiers », aux « Canards sauvages et autres palmipèdes », et aux « Bécasses, bécassines et petits échassiers ». Toujours dans le domaine cynégétique, on lui doit « Chasses et pêches » (souvenirs et croquis) ainsi que « Gibier de passage », et « Toute la Camargue » (en collaboration avec Tony Burnand).

Notons qu’il ne se limite pas au gibier. Il peut aussi étudier et dessiner le pingouin macroptère, le puffin obscur, la sterne naine ou le labbe parasite. Tous les animaux l’intéressent. Certains ont dit, à juste titre, qu’il était le Buffon du XXe siècle.

Comme il pêche aussi en mer depuis l’enfance, il a consacré un superbe livre à cette autre passion : « Poissons et fruits de mer de notre pays » regorge de détails et d’histoires vécues.

Un vieux pêcheur de Saint-Malo m’avait dit qu’un petit requin – qui n’était pas la roussette – était fort apprécié dans la région. Quelle espèce ? Dans son livre, Oberthur écrit que l’émissole, encore appelé « chien goûtant », est un délicieux petit squale qui se nourrit de crustacés et qu’il est fort prisé en Bretagne. Merci docteur !