Sur les marchés, les opérateurs s’accommodent très bien de la prolongation de deux mois des accords d’Istanbul dans le bassin de la mer Noire. Les fondamentaux semblent même avoir eu raison du conflit russo-ukrainien et de ses enjeux géopolitiques. Les cours européens des céréales évoluent en fonction de leurs disponibilités, des variations des parités monétaires et de la politique commerciale de la Russie, pressée d’écouler sa récolte.
Même en écoulant 42 Mt de blé d’ici la fin du mois de juin, celle-ci commencera la campagne 2023-2024 avec un marché intérieur engorgé par des stocks records d’invendus estimés à 27 Mt, selon Agroconsult. Et malgré une production « plus normale » de 85 Mt l’été prochain, les capacités d’exportation de l’Ukraine sont d’ores et déjà estimées à 45 Mt.
À l’Est de l’Union européenne, l’afflux des grains ukrainiens bon marché fait concurrence aux céréales locales.
Derniers facteurs de baisse des prix, les récentes perspectives de production très encourageantes publiées par l’USDA aux États-Unis et par la Commission européenne à Bruxelles. Elles confirment celles parues dans le rapport du Conseil international des céréales, le mois dernier. Aux États-Unis, la superficie de blé (20 Mha) augmenterait de 9 % par rapport à 2022. Dans l’Union européenne, les prévisions de production de blé tendre (132 Mt ; + 5 Mt) et de maïs rassurent.
En France, 7,3 Mha de céréales à paille ont été plantés comme l’an passé mais les agriculteurs ont opté pour la sécurité climatique en privilégiant les céréales d’hiver (+170 000 ha) au détriment des orges de printemps (-115 000 ha). Par ailleurs, les conditions de culture sont très bonnes.
C’est peut-être sur le marché de l’orge que de nouvelles baisses de prix sont à prévoir. Comme le gouvernement de Pékin a levé l’embargo sur les importations de grains d’Australie, celle-ci va reconquérir le marché chinois. La concurrence ouverte avec l’Union européenne va être brutale alors que cette dernière peine à exporter la céréale (7 Mt en neuf mois, – 2 Mt sur un an).
Des stocks très faibles
Deux facteurs limitent le repli des prix des grains : la production mondiale de maïs déficitaire encore pendant de long mois – le prix de la tonne de maïs est même supérieur à celui du blé – mais aussi le niveau des stocks de fin de campagne très faible des pays exportateurs.
Estimés à l’échelle mondiale à 19,2 % de la consommation, les stocks de blé sont au plus bas depuis 2016-2027 si on exclut la Chine (ses stocks équivalent à plus d’une année de sa consommation). Pour le maïs, le ratio est de 10,2 % et l’orge de 12,5 %.
Deux autres facteurs, qui pourraient limiter la baisse des cours des grains, sont les conditions de culture du blé aux États-Unis (manque d’eau) et l’excès d’eau en Inde.
L’avenir du corridor de la mer Noire est pour l’instant vécu sereinement. Le 19 mai prochain, la Turquie sera pourtant en pleine campagne électorale. Mais le changement de dirigeant n’influencera pas l’intérêt des trois parties (l’Ukraine évidemment, la Russie et la Turquie) de prolonger le corridor maritime tant les enjeux économiques sont importants.
Au fil des mois, l’excellente récolte de blé en Russie est devenue un fardeau pour le gouvernement et les agriculteurs, faute de débouchés et de prix rémunérateurs. Quant à la Turquie, elle a besoin des céréales russes et ukrainiennes pour fabriquer les millions de tonnes de farine qu’elle exporte vers ses voisins moyen-orientaux. Elle est même un des premiers pays importateurs de blé russe et ukrainien (10 Mt).
Paradoxalement, c’est de France qu’est récemment montée l’inquiétude sur les marchés des céréales depuis que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a interdit l’emploi de phosphure d’aluminium en tablettes non ensachées. « Or, un coup d’arrêt des exportations françaises ferait le jeu de la Russie », a déclaré Benoît Piétrement, président du Conseil des marchés Grandes cultures de FranceAgriMer.