Quels sont les grands défis techniques pour 2019 ?
Il faudra maîtriser la cercosporiose et surtout la jaunisse. Nous n’avons plus de protection en enrobage de semences contre cette maladie avec l’interdiction des néonicotinoïdes. Mais il y a tout de même une bonne nouvelle avec l’homologation, le 21 décembre dernier, du Teppeki à base de flonicamide, pour lutter contre le puceron vert, vecteur de jaunisses virales. Son efficacité a été démontrée dans les expérimentations de l’ITB et ce produit de la société Belchim constitue la seule alternative efficace à l’arrêt des néonicotinoïdes. Mais une seule application est autorisée à partir du stade 6 feuilles ; de plus, sa rémanence (de 2 à 3 semaines) ne sera pas suffisante pour couvrir la période de risque. C’est pourquoi l’ITB demande une dérogation pour faire plusieurs passages. Je ne sais pas si elle sera acceptée, mais si la réponse était positive, elle pourrait arriver trop tard pour se fournir en produits. On ne peut pas prendre ce risque. J’encourage donc les planteurs à commander dès aujourd’hui du Teppeki qui pourra de toute façon être utilisé sur des céréales ou des pommes de terre. Si la dérogation était accordée, nous pourrions l’utiliser sur betterave et mettre un autre produit sur ces autres cultures. L’ITB mène d’autres actions techniques de plus long terme, comme des solutions de bio-contrôle à horizon 3 à 5 ans. Et nous comptons beaucoup sur la recherche en génétique d’ici 5 à 7 ans, voire peut-être avant puisque le dépôt de 3 variétés résistantes à la jaunisse virale vient d’être réalisé en 1re année d’inscription au CTPS.
Vous avez aussi évoqué l’explosion de la cercosporiose…
C’est un sujet très préoccupant pour toute la filière. Il n’est pas nouveau mais il s’est aggravé en 2018, avec une probable évolution des souches. Un programme de recherche a été lancé par l’ITB, l’Inra et l’Anses pour caractériser les résistances aux fongicides, avec l’objectif d’être plus efficient dans l’évaluation des matières actives et des variétés. L’ITB étudie aussi des solutions de bio-contrôle avec l’Inra, l’Université de Reims et le groupe Roullier.
Comment améliorer le revenu des planteurs tout en répondant aux attentes sociétales ?
La profession agricole a proposé au gouvernement le Contrat de solutions mis en place par 40 partenaires. Toutes nos solutions prennent d’abord en compte les intérêts économiques des agriculteurs, mais elles proposent toutes d’évoluer vers une réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires, au rythme que nos travaux de recherche d’alternatives permettront. Sur les 300 premières solutions identifiées, nous en avons déjà mises 36 en avant en 2018, et les 30 suivantes seront prêtes en 2019. Pour la betterave, l’ITB a édité la fiche n°8 qui promeut l’utilisation de variétés tolérantes aux maladies. Nous voulons démontrer que notre contrat est plus efficace que les programmes Ecophyto 1, 2 ou même 2+, et qu’il mérite d’être soutenu ! Pour ceux qui s’interrogeraient sur le bien-fondé du Contrat de solutions, je les invite à méditer le choix suivant : soit nous réussissons à convaincre la société et la pression réglementaire et médiatique sur les pesticides diminuera, et ce sera un succès mérité pour le Contrat de solutions. Soit nous ne réussissons pas, et nous aurons vraiment besoin de ces 300 solutions pour continuer à être agriculteurs demain sans pesticides.
Comment voyez-vous la production de betteraves sucrières à l’horizon 2030 ?
La betterave s’adaptera au changement climatique. L’ITB a listé pour la première fois en 2018 des variétés qui résistent mieux que d’autres au stress hydrique, et il est raisonnable de penser que nous découvrirons les gènes portant cette résilience avant 2030. L’innovation avancera ensuite plus ou moins vite selon que la réglementation autorisera ou non les nouvelles techniques d’édition de gènes (NBT). Nous poursuivons également nos travaux, sur le numérique avec l’ACTA et sur la robotique, dont nous présenterons les avancées à Désherb’Avenir, les 15 et 16 mai prochain à Berny-en-Santerre dans la Somme.
Et en matière de protection des cultures ?
Nous cherchons une alternative au traitement chimique positionné sur la semence. Une piste est l’utilisation d’endophytes. Ce sont des champignons naturels qui se développent à l’intérieur de plantes herbacées comme la fétuque ou le ray grass, et qui, en produisant des alcaloïdes, deviennent tueurs ou répulsifs de certains insectes nuisibles comme les pucerons ou les cicadelles. Dans le cas de la betterave sucrière, nous pourrions imaginer des semis de graminées l’été précédent au milieu des CIPAN, laissant ces organismes symbiotiques se multiplier pendant l’automne, et nous les retrouverions au printemps suivant pour protéger la betterave contre les ravageurs. Un autre exemple est l’utilisation de microbiotes. Ce sont des micro-organismes, comme des bactéries ou des virus, qui vivent en symbiose avec le monde végétal. Ils peuvent intervenir dans la nutrition de la plante ou bien encore participer à sa défense contre les nuisibles. Nous pourrions imaginer incorporer ces microbiotes dans l’enrobage de la semence de betterave, pour qu’ils agissent comme un vaccin, en dormance tant que ce n’est pas nécessaire, et se libérant dès que le bio-agresseur approcherait.
Propos recueillis par François-Xavier Duquenne