Quand Arnaud Clomenil s’installe en 1992 sur 130 hectares à Saint-Denis-du-Béhélan (Eure), non loin de la ferme familiale, il ne sait pas encore qu’il deviendra un adepte de la modulation de doses quelques années plus tard. Lors du départ en retraite de ses parents en 2000, il récupère 170 hectares, puis à nouveau 280 hectares en fermage en 2005, à Illiers-l’Évêque, à une trentaine de kilomètres de sa ferme.

À la tête de 600 hectares en comptant les terres en jachère, il se rend compte que ses rendements en céréales plafonnent, avec parfois une forte hétérogénéité au sein de la même parcelle, « malgré les avancées de la recherche en matière de chimie et de semences ». En 2001, le GR Ceta évreucin, dont il est membre, lui propose de faire un diagnostic de ses sols, grâce au service Defisol (devenu la structure R&D de Be Api, filiale du groupe InVivo). « La conductivité du sol a été mesurée dans mes parcelles. Defisol a ensuite réalisé des cartes de potentiel et caractérisé mes sols sur une échelle de 1 (mauvais) à 5 (très bon) », explique l’agriculteur normand. Mais les analyses effectuées n’expliquaient pas totalement l’hétérogénéité constatée. « Dans certaines parcelles, j’avais de bons potentiels mais des rendements faibles », se rappelle-t-il. Des analyses de sols complémentaires sont alors effectuées, notamment pour mesurer le PH et les teneurs en potasse, magnésie et chaux. Un manque de phosphore a été révélé à certains endroits.

Economies d’intrants

Une fois les données récoltées et combinées, des cartes de préconisations ont été établies par Defisol. Ces cartes sont ensuite transférées directement dans les équipements d’Arnaud Clomenil. Pour la distribution d’engrais, il possède un Sulky X 36 avec un boîtier RDS dans lequel il insère la carte de préconisations et un Evrard doté du système Optispray, à buses automatiques, pour épandre l’azote liquide. Pour les semis de blé et colza, il utilise un semoir Lemken, compatible au système Isobus du tracteur, pouvant recevoir les cartes. « Le seul inconvénient de la modulation d’engrais, c’est que l’on est obligé d’utiliser des engrais simples pour respecter les doses. Impossible de combiner plusieurs molécules lors d’un seul passage », explique-t-il. Le coût ? « 55 €/hectare en moyenne, affirme Arnaud Clomenil, qui estime que cela a été « rentabilisé dès la 1ère année, en mettant la bonne dose au bon endroit, donc moins d’intrants ». 22 000 litres d’azote liquide ont été économisés en moyenne par an et entre 15 et 20 % de semences de blé et colza. Cela lui a permis surtout de rééquilibrer ses rendements sur la parcelle. L’achat de son semoir avec modulation de doses (7 000 euros) a pu aussi être rentabilisé lors de la deuxième année. L’expérience est largement positive pour l’agriculteur, tant et si bien qu’il présente régulièrement les avantages de la modulation de doses, lors de visites d’agriculteurs, de scolaires ou lors de conférences avec des journalistes.

Au point même d’en devenir un véritable ambassadeur ! Il teste aujourd’hui la modulation de fongicides et de régulateurs, en fonction de la pluviométrie, mais cela est encore en phase d’expérimentation. « J’aimerais pouvoir moduler aussi l’arrosage, selon les mesures de conductivité. Quand il y a peu de conductivité dans le sol, il faut arroser davantage car l’eau ne reste pas », souligne-t-il.

Bilan en demi-teinte en betteraves

Et en betteraves ? Arnaud Clomenil souhaite tester cette année la modulation de semis, une technique encore à ses tout premiers balbutiements. Il est en lien avec Monosem. « L’idéal serait de pouvoir mesurer la taille et le poids des betteraves pour voir les conséquences de la modulation ». Cela lui permettra peut-être d’améliorer le revenu réalisé sur ses betteraves. Car ce nouveau planteur, qui s’est lancé pour la première fois en 2017, éprouve un sentiment contrasté vis-à-vis de cette culture. « Saint Louis Sucre cherchait de nouveaux planteurs. Je me suis dit que cela présenterait l’avantage d’allonger ma rotation, et d’avoir un complément de revenu ». Après une bonne première année, avec 115 t/ha de rendement et un prix moyen de 22 €/t, l’année 2018 a été beaucoup plus compliquée. S’il a pu limiter la casse en matière de rendement, à 98 t/ha, grâce à l’irrigation, il craint un revenu en forte baisse, avec des prix situés « entre 20 et 21 €/t ». L’année 2019 sera décisive pour Arnaud Clomenil pour savoir s’il continue ou non cette culture. La modulation de semis pourrait le convaincre de poursuivre l’aventure le temps que les prix remontent.

Adrien Cahuzac

Faut-il sacraliser l’animal ?

Carte de potentiels des sols des parcelles exploitées par Arnaud Clomenil, sur une échelle de 1 (mauvais) à 5 (très bon).