Pensez-vous que le calendrier initialement prévu par la Commission de boucler la future PAC avant les élections européennes du 26 mai soit encore possible ?
La présidence actuelle souhaite que l’on aboutisse. Cela va dépendre du calendrier électoral et du Brexit. Il y a peu de chances d’aboutir à un vote en plénière dont la dernière se tiendra mi-avril. Nous n’avons pas commencé à négocier avec la Commission, car elle a remis ses propositions très tard. Le temps de s’organiser sur la méthode de travail, septembre était déjà là. J’ai le sentiment que la Commission nous a proposé son texte le plus tard possible, pour nous forcer la main et ne rien changer. Nous nous dirigeons vers une application de la PAC en 2023 et non en 2021.
Sur le fond, comment jugez-vous les propositions de la Commission ?
Ce ne sont pas de bonnes bases. Les propositions me semblent être des ajustements de la PAC actuelle, visant à simplifier le travail de la Commission en reportant la charge sur les Etats membres. Il n’y aura aucune simplification pour les agriculteurs. Nous avions voté un rapport fin 2016 sur la volatilité des prix, pour partir sur de nouvelles bases, avec de nouveaux outils. L’objectif était de protéger le revenu des agriculteurs, mis à mal par certaines décisions européennes. Je pense aux accords commerciaux bilatéraux dans lesquels l’agriculture sert de variable d’ajustement. Si l’Europe fait de son autonomie alimentaire sa priorité, elle doit se doter d’outils pour protéger le revenu des agriculteurs.
Ce n’est pas le cas dans le projet actuel ?
Aucun outil de gestion des risques et de crise n’est proposé. Compte tenu du dérèglement climatique, les risques s’accroissent d’année en année. En proposant plus de subsidiarité aux Etats, nous allons assister au détricotage et à une renationalisation de la PAC. L’une des premières conséquences serait de mettre les agriculteurs dans une situation permanente de concurrence entre eux, qui s’ajouterait à une perte de compétitivité déjà existante du fait des importations des pays tiers. Les pays les plus compétitifs où la fiscalité est la plus basse, avec des systèmes de protection sociale très légers, auront des avantages concurrentiels. Ce n’est pas acceptable dans le cadre d’une politique agricole commune.
Quelles sont les propositions de votre parti, le PPE ?
Les fondamentaux de la PAC doivent rester les mêmes : l’autonomie alimentaire, la sécurité alimentaire et la préférence communautaire. Mais les outils doivent changer car le monde a changé. Il faut des mécanismes qui répondent aux enjeux actuels de concilier performance économique et environnementale. Cela passe par des outils de gestion de risques et de crises et de structuration des filières au niveau européen pour une meilleure compétitivité. Des outils existent dans certains Etats qui pourraient être institutionnalisés au niveau européen. C’est le cas des interprofessions et des observatoires sur les prix. La structuration des filières ne peut plus se faire qu’au seul niveau local. Aujourd’hui, les interprofessions européennes ont certes un rôle promotionnel, mais elles doivent avoir aussi un rôle économique. Le problème réside dans l’interprétation du droit de la concurrence qui ne permet pas, à ce jour, d’aborder les questions de prix, de marché et de structuration de l’offre, sans tomber sous le coup des ententes commerciales. Au plan européen, une première avancée a été faite à travers le règlement Omnibus.
Pourquoi la Commission ne tient pas compte, selon vous, des propositions du Parlement, en matière d’agriculture ?
La Commission fonctionne en silos. Si elle s’appliquait ce qu’elle prône, c’est-à-dire l’économie circulaire, elle aurait mis en oeuvre un plan protéines, comme nous le demandons. Cela répond à une logique de bioéconomie, avec la création de co-produits comme les huiles végétales et biocarburants, diminuant l’empreinte humaine sur les ressources naturelles. Au lieu de cela, nous importons de l’huile de palme issue de pays où l’on déforeste massivement. La Commission n’est pas cohérente. Elle demande aux agriculteurs de faire des efforts en matière de pratiques vertueuses et de bioéconomie, mais ils ne sont pas, ou très peu, accompagnés !
Que pensez-vous de la proposition de réduction du budget de la PAC faite par la Commission ?
Pour justifier un budget il faut avoir un projet. Je ne veux pas garder le budget pour garder le budget. Cela n’a pas de sens. Il s’agit de l’argent du contribuable. Il convient de le justifier. Commençons par élaborer un projet pour justifier des moyens pour faire fonctionner cette politique. Comment demander aux citoyens, pour lesquels le souci est la fin de mois, de continuer à financer une politique sectorielle? La mécanique budgétaire doit évoluer. La réserve de crise est un exemple. Il n’est pas normal de ponctionner une partie des aides pour faire cette réserve. Cela doit venir à côté. La réserve de crise doit être indépendante des aides allouées aux agriculteurs afin de leurs venir en aide quand une situation grave le justifie.
Un an et demi après la suppression des quotas sucriers, le secteur betterave-sucre est plongé dans une grave crise. Cela aurait-il pu être évité ?
Certains commissaires semblent avoir plus de poids que d’autres. Alors que l’agriculture est le premier budget européen, elle pèse insuffisamment dans le tour de table. La Commission se réfugie en permanence derrière l’OMC pour justifier ses décisions libérales. Les Etats-Unis et la Chine ne s’embarrassent pas de ce genre de considérations ! Nous voulons être les premiers de la classe, mais on se tire des balles dans les pieds. Je veux une Europe qui protège son secteur agricole. J’ai dénoncé au Parlement il y a plusieurs mois les pratiques du gouvernement argentin et demandé la mise en place de clauses de sauvegarde. On m’a répondu qu’il fallait attendre février. La Commission n’est pas assez réactive pour prévenir les crises. Je ne pense pas qu’il faille réduire la production sucrière pour sortir de la crise. L’Europe perdrait des parts de marché au niveau mondial. Il faut mettre en place des mécanismes de gestion de crise.
Propos recueillis par Adrien Cahuzac