« On a besoin de défendre notre souveraineté agricole et alimentaire », s’était exclamé le Président de la république, le 9 septembre dernier à Outarville. Alors qu’il était venu inaugurer les « Terres de Jim », Emmanuel Macron a prononcé un discours dans lequel il exprimait avec force son attachement à la souveraineté alimentaire, qu’il qualifiait de « mère des batailles » : « Parce que si on la laisse tomber […], on se réveillera groggy. En découvrant qu’on doit importer le lait, qu’on doit importer la viande, qu’on doit réimporter les légumes, et que tout ce qui était comme des évidences, mais qu’on ne voulait plus payer au juste prix, qu’on n’a pas suffisamment défendu, est devenu une vulnérabilité. Au moment où je vous parle, ça n’est pas le cas. Mais si nous ne tenons pas bon aujourd’hui, et s’il n’y a pas un réveil collectif profond, dans dix ans, dans vingt ans, ce sera le cas ».

Un discours de séduction

Force est de constater que ces paroles étaient fausses : au moment même où le président parlait, les soldes commerciaux de la viande et des fruits et légumes étaient négatifs. Mais il y a plus grave encore : selon un rapport parlementaire sur la compétitivité de l’agriculture française sorti fin septembre dernier, l’excédent de la balance commerciale agroalimentaire française était, et est toujours, uniquement dû aux exportations de vins et spiritueux, un domaine dans lequel la France excelle. Mais si l’on retire l’alcool, en raison de sa faible capacité à rassasier les estomacs, le solde commercial alimentaire français devient largement déficitaire, de plus de 6 milliards d’euros en 2021. Cela n’a pas empêché le président de déclarer : « nous serions fous d’abandonner notre agriculture à l’étranger ». Une phrase qui sonne faux, en particulier dans la filière betteravière.

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Peut-on espérer une inversion de la tendance ? Non. Sans revirement politique radical, cette situation problématique va s’aggraver car ni les surfaces productives, ni les rendements ne connaissent une dynamique de croissance. La Surface agricole utile (SAU) française est en constante diminution depuis bien longtemps. Selon le ministère de l’Agriculture, elle perd en moyenne 65 900 ha par an, et s’est réduit de l’équivalent de la superficie totale de la Seine-et-Marne en 10 ans. Par ailleurs, les rendements des principales grandes cultures stagnent depuis quelques années, voire baissent légèrement pour certaines. Donc, sans un réel sursaut, la dépendance alimentaire de la France devrait s’aggraver de jour en jour.

Faut-il sacraliser l’animal ?
Le rendement de nombreuses grandes cultures stagne. Les sécheresses et la suppression de moyens de production n’y sont probablement pas pour rien. ©Source : CGB, Arvalis, AGPM, AGPB.

La décroissance comme réponse à la dépendance alimentaire

Face à cette situation que le contexte géopolitique rend encore plus alarmante, Emmanuel Macron déclarait qu’ « il n’y a aucun progrès écologique possible s’il se fait aux dépens de notre souveraineté ». Qu’en est-il alors de la suppression des néonicotinoïdes en betterave et d’un grand nombre d’autres moyens de production, décisions dont les bénéfices environnementaux restent parfois plus que discutables d’un point de vue scientifique ? En matière agricole et écologique, les réglementations qui accompagnent la diminution de la production sont légion. L’UE se lance dans la course aux suppressions de moyens de production, et la France, qui cherche à apparaître aux yeux du monde comme la 1ère de classe de l’écologie, surtranspose les normes de Bruxelles. Les matières actives tombent les unes après les autres (néonicotinoïdes et phosmet pour ne citer qu’elles), les apports d’eau et d’engrais sont limités (directive nitrate) et une part croissante de la SAU est exclue de l’activité productive (ZNT, jachère, haie, …). Et ce n’est pas fini : de très nombreuses molécules comme le glyphosate (pour lequel la France s’est abstenue lors du vote du prolongement de son homologation en décembre dernier) et les fongicides SDHI sont sur la sellette.

Par ailleurs, la stratégie Farm-to-Fork de la Commission européenne, qui vise à réduire de 50 % les pesticides et de 20 % les engrais en 7 ans, ainsi qu’à augmenter la part de l’agriculture biologique à 25 % de la SAU, continue à avancer comme un rouleau compresseur. Selon un rapport du centre d’étude de la Commission Européenne elle-même, les stratégies agricoles du Green Deal contribueront à baisser la production du continent d’au moins 13% (probablement plus car ce chiffre dépend de nombreuses d’hypothèses de modélisations). Les autres études publiées pour l’heure sur la stratégie européenne indiquent toutes la même tendance, voire des baisses encore plus importantes quand des mesures comme celle de « restauration de la nature » y sont ajoutées. Et, contrairement au célèbre dicton « pas d’interdiction sans solution », ce « tsunami réglementaire » (selon les mots du Copa-Cogeca) ne s’intéresse très peu à la présence d’alternatives économiquement viables.

Le 9 septembre, le président déclarait : « nous croyons en la souveraineté agricole et alimentaire parce qu’on sait que les jours où c’est difficile, on l’a vécu, qui nourrit le peuple français ? Nos agricultrices et nos agriculteurs ». Mais si une guerre survient un jour dans un pays avec lequel la France entretient une dépendance alimentaire, comme elle est survenue récemment dans une région qui nous fournit de l’énergie, les agriculteurs seront-ils capables de combler la souveraineté perdue et de nourrir tous les Français ? Une sucrerie ne redémarre pas en un jour, surtout en temps de crise ! Et si la nourriture vient à manquer et que les prix s’envolent, qui sera prioritaire ? « L’élite » qui a mis en place ces interdictions ou les Français aux revenus plus modestes ? Rappelons qu’à l’heure où nous parlons, 5,5 millions de Français dépendent de l’aide alimentaire. La « mère des batailles » ne prend donc pas le chemin de la victoire !