Une majorité de pays dans le monde pays préfèrent garder les mains libres avec la technique des organismes modifiés par mutagenèse. L’Union européenne (UE) fait figure d’exception en l’assimilant aux OGM classiques. Un article de notre partenaire européen Euractiv.
Des chercheurs et des représentants de plus de 190 pays sont actuellement réunis à Charm el-Cheikh, en Égypte, pour parler biodiversité jusqu’au 29 novembre. Placée sous l’égide de l’ONU, cette conférence doit entre autre se pencher sur la révision du protocole de Carthagène.
Entré en vigueur en 2003, le document donne aux États signataires les moyens juridiques de prévenir les risques biotechnologiques, même s’il n’est pas contraignant. Parmi ces risques, les effets de la mutagenèse sont évoqués. Cette technique consiste à modifier le génome à l’intérieur d’une plante, pour la rendre plus résistante aux intempéries par exemple. Elle est différente de la transgenèse, qui consiste elle à introduire un gène extérieur dans une plante.
L’Europe isolée
La Cour de justice de l’UE (CJUE) a jugé le 25 juillet dernier que les deux procédés créaient des OGM, avec les risques sanitaires et environnementaux qui en résultent. Les produits de la mutagenèse doivent donc obéir aux mêmes règles que les OGM « classiques » obtenus par transgenèse. Cette décision reste à être transposée dans les droits nationaux.
La position européenne est singulière, car la majorité du globe fait primer l’innovation sur la précaution. À commencer par les États-Unis, où les firmes telles que Monsanto sont friandes de la technique peu coûteuse de la mutagenèse, qui permet de créer des variétés de plantes plus robustes. La priorité n’est donc pas de mettre en place des règles trop contraignantes, qui pourraient entraver l’innovation.
En France aussi, certains agriculteurs et industriels s’inquiètent de cette position. « Cette décision empêche les PME de commercialiser leurs produits s’ils sont catégorisés OGM. Elles n’en ont pas les moyens », lance Benoît Lacombe, directeur de recherche au CNRS.
Coût prohibitif pour les PME créatrices de semences
Selon lui, le coût de la surveillance et des études d’impact à mettre en place est tout simplement impossible à financer pour une petite entreprise qui voudrait développer un produit issu de la mutagenèse. « Ça coûte extrêmement cher et ça favorise les entreprises ayant déjà atteint une taille critique. »
La France dispose d’un véritable vivier de créateurs de semences, « l’une des industries les plus importantes du pays », d’après Catherine Regnault-Roger, membre de l’Académie d’agriculture.
Il y a près d’un an, un champ de colza mutagène exploité par la coopérative Dijon-Céréales avait été ravagé par les « faucheurs volontaires », qui luttent contre les OGM. Le procès s’est tenu en fin de semaine dernière à Dijon et le jugement est attendu pour le 17 janvier 2019.
Casse-tête judiciaire
Déterminer ce qui est un OGM et ce qui ne l’est pas est un casse-tête pour l’autorité judiciaire. « C’est impossible de différencier une mutagenèse aléatoire d’une mutagenèse dirigée par l’homme. Les juges ne peuvent pas statuer », fait valoir le chercheur du CNRS. En effet, la mutagenèse existe aussi à l’état naturel.
Pour l’académicienne Catherine Regnault-Roger, le combat n’est pas le bon. « C’est le produit final qui devrait être analysé, pas la façon de l’obtenir », soutient-elle. Si la plante obtenue par mutagenèse est propre à la consommation, il n’y a pas de raison d’entraver l’innovation par mutagenèse.
Ce discours est dénoncé par les ONG environnementales. Pour elles, les risques environnementaux et santé liés aux OGM sont encore largement inconnus et imprévisibles. « La libération de ces nouveaux OGM dans l’environnement sans mesures de sécurité appropriées est illégale et irresponsable », avait réagi Greenpeace lors de la décision de la CJUE cet été.
Clément Nicolas – Euractiv France