En 2025, plus que jamais, les planteurs ont semé leurs betteraves sans avoir de visibilité sur les prix. Il faut dire qu’avec des prix du sucre à la baisse sur les marchés, les industriels ont du mal à communiquer sur un niveau de prix pour les betteraves 2025. Ils ne seront véritablement connus que l’année prochaine et dépendront des éléments du marché, des niveaux de prix auxquels les fabricants auront vendu leur sucre, et donc, notamment, des volumes importés d’Ukraine sans droits de douane. Ce qui est certain, c’est que les prix s’annoncent en baisse par rapport aux betteraves 2024.
En face de ces prix hypothétiques, les coûts de production sont bien connus. Et ils ne sont vraiment pas en baisse ! Pour 2025, ils tournent en moyenne autour de 3 000 €/ha, ce qui représente près de 38 €/t de betterave pour un rendement de 80 t/ha.
Ce chiffre est issu d’une étude que mène tous les ans l’Association de recherche technique betteravière (ARTB) sur les coûts de production de la betterave en France. Cette organisation de recherche compile notamment des données venant des centres de gestion de 12 départements betteraviers. Pour être précis, l’ARTB prend en compte les charges spécifiques à la culture betteravière, c’est-à-dire les charges variables (semences, engrais, produits phytosanitaires, irrigation), l’itinéraire technique (mécanisation, main-d’œuvre chargée, carburant), les charges de structure (entretien des bâtiments, fermages, frais financiers et généraux) et la MSA.
Marge positive en 2022
Les derniers chiffres disponibles datent de 2022. Ceux des campagnes ultérieures sont des hypothèses à partir de l’inflation et des éléments de marchés qui sont, pour la plupart, également disponibles.
Pour 2022, la moitié des exploitations a des coûts de production qui se situent entre 2 669 €/ha et 2 877 €/ha. La médiane étant de 2 758 €/ha et la moyenne de 2 796 €/ha.
Si l’on calcule le coût de production à la tonne de betterave, avec un rendement moyen national de 77 t/ha, la moyenne ressort à 36 €/t. Avec un prix moyen de betterave payé de 43,70 €/t (mais les écarts sont importants entre groupes sucriers), l’année 2022 a permis de sortir une marge moyenne de 590 €/ha.
Augmentation des charges en 2023
Les chiffres présentés pour les années 2023 à 2025 sont des estimations. Ils intègrent une augmentation des prix des semences en 2023 et 2024 et une forte progression des prix des engrais en 2023, puis une diminution les deux années suivantes.
La protection phytosanitaire est aussi en hausse, tout en sachant que le surcoût engendré par la fin des néonicotinoïdes en 2023 est probablement, de l’aveu même des rédacteurs de l’étude, sous-estimé (avec le Teppeki 19 €/ha et le Movento 46 €/ha).
Le coût de production betteravier passe de 2 758 €/ha en 2022 à 3 056 €/ha en 2025 (voir graphique 1). Après une forte augmentation entre 2022 et 2023, les coûts se stabilisent. Mais au total, ils ont augmenté de 38,9 % par rapport à la moyenne 2017-2021 !
Face à ces coûts, la recette betteravière totale (compensation pulpes, indemnités, PSE, dividendes et intérêts aux parts) et du rendement a fortement augmenté entre 2021 et 2023. Il faut toutefois rappeler qu’une partie de la recette betteravière est en réalité constituée de la rémunération du capital investi dans les coopératives pour les agriculteurs concernés. En toute rigueur, pour apprécier justement la rentabilité de la culture, ces éléments (intérêts aux parts, dividendes) devraient être déduits de la recette betteravière.
Après avoir enregistré des marges négatives entre 2018 à 2020, les planteurs ont retrouvé des marges positives (voir courbe 2).
Pour 2024, on connaît le rendement moyen, qui est 80 t/ha, mais pas les prix définitifs.
Les projections réalisées avec des charges totales de 2 967 €/ha suggèrent que la marge betteravière sera tout juste positive de 73 €/ha, dans l’hypothèse d’une betterave payée 38 €/t à 16°S. Un prix de betterave à 40 € donnerait une marge 233 €/ha. En revanche avec une betterave à 36 €/t, la marge devient négative de – 87 €/ha.
Baisse en vue pour le prix de la betterave 2025
« Les repères ont changé », insiste Sébastien Audren, expert micro-économie à la CGB. Selon lui, il faut donc « oublier le coût de production de 25,90 €/t que l’on avait en tête avant la fin des quotas avec un rendement à 85 t/ha ».
Pour la campagne 2025, la situation ne s’améliore pas (voir tableau 3). Bien au contraire, avec des charges totales de 3 056 €/ha. Les marchés étant à la baisse, le prix des betteraves va probablement suivre. Conjugué à un rendement olympique 5 ans, qui passe sous la barre des 80 tonnes/hectare, la marge est négative même pour une betterave payée 36 €/t.
Point de vue de Cyril Cogniard, président de la CGB Champagne-Bourgogne
« Tous nos repères ont été bousculés avec l’inflation. Il faut donc les réactualiser. Cette étude de l’ARTB sur les coûts de production betteraviers nous donne des repères.
Si un prix du sucre a 600 €/t était intéressant il y a 5 ans, il ne l’est plus aujourd’hui au regard des coûts de production. En Europe, la crise de marché du sucre ne commence donc plus à 404 €/t comme en 2009, mais à 585 €/t. En deçà de ce prix, on ne couvre plus nos coûts de production.
Il faut souhaiter que la proposition de loi (PPL) « Lever les contraintes » soit votée par l’Assemblée nationale, car nous devons conserver des moyens de production pour maîtriser la jaunisse et la cercosporiose. En effet, c’est bien le rendement qui nous permet de dégager une marge, alors que nous subissons le prix. »
L’inflation touche tous les prix… sauf le prix de référence européen du sucre qui n’a pas changé depuis 2009 ! Il reste scotché à 404,40 €/t. Or, si l’on intègre l’inflation sur 16 ans, sa valeur passe à 585 €/t en 2025.
La CGB a lancé un appel aux institutions européennes afin d’actualiser l’Organisation Commune de marché (OCM) pour la prochaine PAC 2027.
« La Commission européenne a la volonté de renforcer la position des agriculteurs dans la chaîne alimentaire en modifiant à la marge les notions contractuelles incluses dans l’OCM, explique Timothé Masson, économiste à la CGB. La CGB souhaite en profiter pour actualiser le seuil de référence du sucre de 404,40 €/t. Ce seuil n’est pas juridiquement contraignant pour la Commission – d’ailleurs le prix du sucre est passé au-dessous pendant 40 mois après la fin des quotas – mais il garde un effet psychologique au niveau commercial.
Si on arrive à convaincre la Commission d’appliquer l’inflation, le nouveau prix de référence du sucre sera de 585 €/t. Or, en 2009, le prix de 404,40 € correspondait à un prix minimum de la betterave de 26,29 €/t. Si l’on applique ce même ratio à un prix du sucre de 585 €/t de sucre, alors on obtient un prix de betterave de 38 €/t.
C’est bien l’illustration que nos chiffres sont robustes : les grands équilibres restent présents, il faut juste veiller à prendre en compte l’inflation, et faire prendre conscience à l’aval de la filière que produire de la betterave, aujourd’hui, ne peut se faire qu’à 38 €/tonne »