L’Europe vient de franchir un nouveau pas vers l’utilisation des variétés issues des nouvelles techniques génomiques (NGT). Après des mois de débats, les représentants des États membres de l’UE ont convenu d’un mandat de négociation concernant les NGT, ouvrant la voie aux discussions avec le Parlement européen.
Mais les trilogues entre le Conseil, le Parlement et la Commission risquent d’être encore semés d’embûches. Car le Parlement européen a déjà adopté sa position l’an dernier, où il se prononce pour une traçabilité et un étiquetage tout au long de la chaîne alimentaire (y compris aux NGT-1) et pour interdire l’octroi de brevets à tous les NGT.
Si ce règlement était adopté en l’état, il doterait la création variétale européenne de nouveaux outils et de nouvelles ressources. Le secteur agricole pourra ainsi disposer de plantes plus tolérantes à la sécheresse, mais également résistantes à tous les bio-agresseurs qui accompagnent le changement climatique : pathogènes, insectes ou nématodes. Des programmes sont déjà en cours sur la résistance à la jaunisse de la betterave.
Où en est-on sur ce dossier très débattu depuis de nombreuses années ? Décryptage avec trois experts de ce dossier : Thierry Langin, président de l’Association Française des Biotechnologies Végétales, Rachel Blumel, directrice générale de l’Union Française des Semenciers et Yves Madre, fondateur du think tank Farm Europe.
Quelle est la suite du parcours législatif du futur règlement NGT ?
Le texte final du projet de Règlement va faire l’objet de négociations en trilogue (Parlement européen, Conseil des ministres, Commission). Les négociations vont pouvoir commencer mi-avril, annonce Yves Madre, président de Farm Europe. « Elles pourraient permettre une adoption formelle d’un texte par les deux colégislateurs européens à l’automne 2025 pour une mise en œuvre effective en 2026. Lors de ces trilogues, la présidence du Conseil négocie, au nom des États membres, avec le Conseil, qui peut lui donner des marges de manœuvre supplémentaires au long du processus de négociation. Même chose pour la rapporteure du Parlement européen sur ce dossier. »
Quels sont les points de divergence ?
Il reste de nombreux points à discuter, constate Thierry Langin.
• Points controversés venant du Parlement européen :
Une plante NTG-1 doit contenir au moins 1 trait durable et pas de trait non-durable (comme la tolérance aux herbicides). Obligation de fournir un plan de surveillance pour les variétés NTG-1, malgré le fait qu’elles soient considérées comme équivalentes aux plantes conventionnelles. Étiquetage du producteur jusqu’au consommateur et traçabilité documentaire à toutes les étapes pour les variétés NTG-1. Pour les variétés NTG-2, des conditions durcies pour dérogation aux exigences de détection et surveillance. Pour les deux catégories (NTG-1 et 2), obligation de modifier la Directive 98/44 pour rendre ces plantes non-brevetables.
• Points controversés venant du Conseil de l’UE :
Les plantes tolérantes aux herbicides doivent être exclues de la Catégorie 1. Pour les plantes de la Catégorie 2, possibilité pour un État membre d’interdire la culture, comme pour les OGM transgéniques aujourd’hui.
Quand les semenciers pourront-ils commercialiser des NGT en Europe ?
Le nouveau règlement n’entrera pas en vigueur avant 2027, au mieux, estime Thierry Langin. Il faudra encore attendre plus de deux ans avant que les premières variétés obtenues à partir de plantes NGT-1 puissent être enregistrées et commercialisées. On arrive donc à 2029.
Quelle différence entre NGT-1 et NGT-2
Pour qu’une plante soit considérée comme NTG-1 il faut, à l’heure actuelle, et sous réserve de modifications pouvant survenir pendant le trilogue, qu’elle n’ait pas plus de 20 modifications opérées par l’édition génomique. Et il faut que chacune de ces modifications soit conforme à la liste des critères de l’Annexe 1 (substitution ou insertion de pas plus de 20 nucléotides, délétion de tout nombre de nucléotides, insertion ou substitution ciblée d’une séquence d’ADN existante dans le pool génétique du sélectionneur, inversion ciblée de tout nombre de nucléotides).
Les NGT- 2 (présentant des modifications plus importantes de leur génome ou des caractéristiques de résistance aux herbicides) seraient traitées comme des OGM classiques.
Faut-il mettre en place une traçabilité des NGT ?
Le Parlement européen souhaite une traçabilité jusqu’au produit fini. Le Collectif pour l’innovation variétale, qui regroupe de nombreuses organisations représentatives des agriculteurs et des filières agricoles (dont pour le sucre, la CGB, le SNFS et l’AIBS), estime qu’il ne faut « pas stigmatiser ces plantes par rapport aux autres et ne leur imposer ni traçabilité ni obligation d’étiquetage tout au long de la chaîne jusqu’au produit final. »
L’Union Française des Semenciers, qui fait partie de ce collectif, estime qu’il est raisonnable de « donner seulement cette information jusqu’au sac de semence. »
Faut-il breveter les NGT ?
Le texte présenté par le Conseil (États membres) prévoit d’autoriser l’octroi de brevets aux traites issues de NGT, y compris celles de catégorie 1, c’est-à-dire considérées comme équivalentes à des variétés issues de la sélection conventionnelle.
L’AFBV est « favorable à la possibilité de brevet sur les caractères de plantes obtenues par intervention technique, comme c’est le cas aujourd’hui pour les plantes issues de la transgenèse, la mutagenèse aléatoire ou la fusion cellulaire, à condition que le caractère de plante ainsi obtenu satisfasse les conditions de brevetabilité », explique Thierry Langin.
Pour l’UFS, la question du brevet est importante car, « En Europe, le système du certificat d’obtention végétale (COV) coexiste avec le brevet sur les techniques (exemple Crispr-Cas9) et les traits génétiques, dès lors qu’ils sont nouveaux. La profession s’accorde pour considérer qu’il n’est pas possible de breveter un trait natif (NDLR : qu’on pourrait trouver dans la nature) », explique Rachel Blumel, directrice générale de l’UFS. Un équilibre doit donc être trouvé pour protéger les innovations sans les rendre inaccessibles.
Les semenciers français travaillent-ils déjà sur les NGT ?
Quand on leur pose la question, ils répondent oui. Mais ils sont généralement très évasifs sur les axes de recherche. Cependant, Limagrain et Florimond Desprez ont récemment communiqué sur ce sujet.
Sébastien Chauffaut, directeur général de Limagrain, a distillé quelques informations, le 18 mars dernier, lors d’un entretien organisé par l’Afja (Association de journalistes agricoles). « Nous avons commencé en 2017 à utiliser cette technologie, et nous sortirons nos premières variétés éditées d’ici 2029. Les espèces concernées sont le blé et le maïs en priorité, ainsi que le colza et la tomate. Cela ne peut être dirigé que vers des espèces à gros volumes de ventes car les budgets à mobiliser sont conséquents. Les travaux portent sur les tolérances et résistances aux maladies (70 % de nos efforts), ainsi que la qualité intrinsèque (en particulier nutritionnelle) et la productivité ».
Florimond-Desprez travaille aussi sur les NGT, comme l’expliquait Pierre Devaux, directeur de la recherche et de l’innovation du groupe Florimond Desprez, au Colloque de l’AFBV, qui s’est tenu à Lyon le 12 mars dernier. Pour les jaunisses virales dues aux BChV, des résultats prometteurs ont été obtenus par une technique d’édition génomique en inactivant plusieurs familles de gènes Bv-Elf de manière ciblée. Pour le BMYV, on n’y est pas encore ; les recherches sur d’autres familles de gènes agissant sur la résistance se poursuivent et Pierre Devaux estime que ce résultat prometteur pour le BChV est encourageant pour la suite.
Entretien avec Thierry Langin, président de l’AFBV, directeur de Recherche au CNRS, Thierry Langin est aussi le président de l’Association Française des Biotechnologies Végétales (AFBV).
Quel est votre sentiment après la décision des États membres de l’UE sur les NGT, le 14 mars dernier ?
L’Association Française des Biotechnologies Végétales (AFBV) et son partenaire allemand le WGG, considèrent le vote du Conseil des Ministres de l’UE en faveur de la proposition de réglementation de la Commission européenne, concernant l’utilisation des Nouvelles Techniques Génomiques (NTG), comme une avancée positive. Ce vote constitue une première étape majeure dans le processus complexe devant aboutir à une réglementation sur les NTG.
La mise en place d’un cadre réglementaire va-t-elle inciter les semenciers à investir dans les NGT en Europe ?
Certainement, si le texte réglementaire n’impose pas de contraintes difficiles à mettre en place ou d’obligations onéreuses pour les opérateurs agroalimentaires et les agriculteurs. En particulier, il s’agit de ne pas leur imposer des méthodes de détection, d’identification et de quantification, qui ne doivent rester applicables qu’aux seuls OGM. Mais on peut craindre que les opposants aux NGT-1 cherchent à rendre la nouvelle réglementation inapplicable de fait, comme cela est le cas pour la réglementation de la transgenèse. De plus, il faudra assurer une protection vraiment efficace des essais au champ. Il y a encore eu un arrachage des essais autorisés sur vigne, le 12 février dernier en Italie.
Les semenciers sont-ils tous en faveur de la brevetabilité des NGT-1 ?
Il n’y a pas de réponse uniforme. Les sélectionneurs de petite taille sont souvent réticents aux brevets, car ils craignent de ne pas avoir la surface financière suffisante pour acheter les licences. Il est important de comprendre que la possibilité de breveter les innovations issues de l’édition génomique est indispensable pour qu’elles puissent atteindre les agriculteurs et les consommateurs. Les premières innovations vont probablement nous arriver à travers des variétés existantes modifiées par édition génomique, c’est-à-dire des clones. Ce sera le cas pour la vigne, la banane, le pommier ou la pomme de terre. Le développeur du clone ne pourra obtenir un retour sur investissement si le caractère n’est pas breveté.