C’est le monde à l’envers ! Alors que depuis des années les mouvements écologistes, souvent violemment anti-chasse, ne cessent de dénoncer le tir des animaux, le vent vient de tourner en Alsace. En effet, certains d’entre eux demandent aux chasseurs d’appuyer davantage sur la détente. Motif : les cervidés ravageraient les jeunes plantations.

Tout commence quand la fédération des chasseurs du Haut-Rhin s’inquiète de l’objectif fixé à ses chasseurs pour la dernière saison : 2000 grands cervidés, 350 chamois et 165 daims. Elle le trouve trop élevé. Les chasseurs pensent que la population, loin d’être excédentaire, est plutôt stable, voire en diminution. Si cette réticence reçoit l’aval du grand public (une pétition pour la biodiversité et la sauvegarde de la grande faune dans le Haut-Rhin a recueilli près de 25.000 signatures) et conduit même à une « alliance » avec certains écologistes, d’autres renâclent.

Dans un entretien à France Bleu Alsace, le vice-président de la fédération Alsace Nature, Francis Dopff, somme les chasseurs de réaliser le plan de chasse. Autrement, dit-il, les forêts alsaciennes sont perdues.

Sur certaines parcelles de forêt de la vallée de Munster, dans le Haut-Rhin, les arbres se raréfieraient. Le passage de plus en plus fréquent de cerfs, de sangliers ou de chamois entraverait leur croissance. Francis Dopff, prend pour exemple un sapin de petite taille : « Il a été brouté et rebrouté au sommet […] Si vous revenez ici dans 150 ans, parti comme ça, il n’y aura plus de sapins » s’émeut-il.

Polémique

L’affaire fait du bruit. Elle est notamment reprise par le quotidien Libération le 3 février. L’article ménage le cerf et l’épicéa. Certes, le journal n’aime pas les chasseurs. Il préfère les végan et les animalistes. Mais si les écologistes disent qu’il faut tuer davantage de cerfs, il faut bien les entendre. Dans le clan des protecteurs, un chasseur, Adrien Picitto, dit que depuis trois ans, il bat la campagne et que ses conclusions sont formelles : « selon nos comptages nocturnes, le nombre de cerfs a été divisé par deux. » Certaines organisations écologistes comme « Sauvegarde faune sauvage » se rangent à cet avis : il ne resterait plus que 4.000 cerfs dans le Haut-Rhin dont très peu de vieux mâles. Le journal ménage les deux parties et plaide « in fine » pour la concertation.

Cette polémique illustre une nouvelle fois le conflit existant entre les forestiers qui donnent la primauté au végétal et les chasseurs qui mettent l’accent sur l’animal. L’étonnant est que, cette fois, les écologistes plaident en faveur de la carabine. Généralement, ils préfèrent insister sur la nécessité de réintroduire de grands prédateurs. La régulation par le loup ou le lynx leur semble préférable à la régulation de l’homme.

À l’échelon national, le problème est posé.

« La chasse, on peut l’aimer ou la détester, explique l’Office National des Forêts (ONF) sur son site. Mais une chose est sûre : en l’absence de grands prédateurs, cette activité est indispensable à l’équilibre et à la bonne santé des écosystèmes forestiers ». Pourquoi ? Les chiffres parleraient d’eux-mêmes : plus de 50% des surfaces des forêts domaniales seraient en situation de déséquilibre forêt-ongulés à cause d’une surpopulation de cerfs, chevreuils, biches, sangliers… « La situation varie selon les territoires », explique Ludovic Lanzillo, expert national chasse, pêche et équilibre forêt-ongulés à l’Office national des forêts (ONF). Les régions Grand Est, Hauts-de-France et Bourgogne-Franche-Comté sont très concernées, mais les ongulés n’épargnent pas les forêts d’Auvergne, de Lozère, du Limousin, du Sud-Ouest et d’autres encore ». Dans cette affaire, chacun campe sur ses positions.

De moins en moins de tranquillité

Et dans le Haut-Rhin ? J’ai joint Caroline Rolly-Schmit, la directrice de la fédération. Elle ne chasse pas et a de bons contacts avec les organisations rurales. Pour elle, la population de cerfs décroît notamment à cause du dérangement. « Nous avons de plus en plus de loups et de lynx qui les houspillent. Ils ont de moins en moins de zones de tranquillité. Alors, bien sûr, on en voit beaucoup ensemble et les promeneurs pensent que les animaux abondent. Mais non ! Ce sont des cerfs qui ont été mis debout et qui se rassemblent ». Le plan de chasse 2024/2025 n’a pas été réalisé. Il va manquer entre 150 et 200 cerfs au tableau. Coût de l’amende pour cette espèce : 1500 € par lot pour l’adjudicataire et 75.000 € s’il s’agit d’une association.

Pour l’avenir, quel serait un plan de chasse équilibré ? « L’accroissement naturel de la population, soit 1500 têtes » répond la directrice. Les chasseurs parviendront-ils à faire accepter ce chiffre ? C’est toute la question. La discussion avec les forestiers sera comme d’habitude assez raide. Mais personne n’a envie de voir le cerf disparaître. Et, en principe, surtout pas les écologistes …